let me be a part of the narrative • (sigyn)

let me be a part of the narrative

w/@Sigrid Olsen // In the story they will write someday, let this moment be the first chapter, where you decide to stay

Le temps avait passé. Des centaines, des milliers d'années. L'équivalent de quelques jours ou quelques semaines pour une vie humaine. Pourtant, Sága ressentait un besoin de changement. Celui-ci avait déjà commencé depuis longtemps, depuis la signature du traité de paix. Les tables avaient été faites rase du passé houleux entre les espèces. Les esprits s'étaient apaisés, les tensions aussi. C'était probablement le meilleur moment pour renouer le contact. Voilà des lustres que Sága et Sigyn ne s'étaient pas parlées. A l'aube de leur vie, elles étaient les meilleures amies du monde. Elles avaient vécu des siècles de plénitude et d'insouciance au sein de l'Asgard. Puis, il y avait eu Loki, l'union de Sigyn avec ce dernier, les affrontements, la colère d'Odin et des tragédies à n'en plus finir. La Purge, la destruction des Sceaux de l'Apocalypse, la libération des dieux. Tant d'événements qui étaient venus bouleverser le quotidien quasi-inchangé de la déesse insouciante, quand celui de son amie n'avait été que souffrance pendant des millénaires. Puis, Odin était mort et Sága avait connu une peine immense, proche de ce qu'avait dû ressentir Sigyn en perdant ses fils. Une partie de soi arrachée. Un vide laissé à l'intérieur de la poitrine impossible à combler. Elles avaient eu leurs histoires, leurs joies et leurs peines. Des choses que Sága souhaitait raconter au monde, coucher sur du papier pour la postérité. Pour ne pas oublier, pour pas avoir à rougir et pour reconnaître les erreurs faites et ne jamais les recommencer. C'est ce qu'elle espérait, du plus profond de son être.

Il était temps. Temps de mettre sa peur de côté. Temps d'aller de l'avant. De tourner une page ou d'ouvrir un nouveau livre, celui de la réconciliation. Pourquoi Sága avait-elle si peur de retourner voir Sigyn ? Parce qu'elle était pudique, qu'elle ne voulait lui imposer sa présence. Parce qu'elle avait peur de lire dans les yeux de son amie d'autrefois des regrets, des reproches ou un refus qu'elle aurait raison de lui donner, mais qui causerait une peine certaine à Sága. Comment savoir si cette peur était égoïste ou si le fait de l'avoir laissé seule aussi longtemps l'était encore plus ? La déesse se trouvait des excuses avec ses obligations à la bibliothèque. Il y avait tant à faire et tant à découvrir. Apprendre l'empêchait de penser aux contractions de ce monde. Aux sentiments qui l'envahissaient sans cesse, au détour d'une allée. Il suffisait qu'elle pose son regard sur une fresque asgardienne pour que des souvenirs viennent la frapper de plein fouet. Thot était souvent là pour la ramener à la réalité. Lui aussi utilisait l'étude comme échappatoire. Se focaliser sur des recherches précises facilitait l'oubli et l'angoisse qui l'accompagnait. Sága marchait d'un pas lourd sur les chemins du Sanctum. Son cœur l'était presque autant que sa cadence. Elle tenait entre ses mains les pages encore non-reliées d'un codex à demi-rempli de runes, ainsi qu'un bouquet de valériane et de de fleurs de bougainvillier. Le soleil lui semblait si chaud au-dessus de sa tête. Jamais la déesse ne s'accoutumerait à cette chaleur étouffante. Au sein de la bibliothèque, l'atmosphère était fraîche, protégée par les épais murs de pierre et la faible luminosité. Chaque sortie sous un soleil de plomb mettait à l'épreuve la peau laiteuse de Sága et ses grands yeux bruns peu habitués à une telle luminosité. Les battements de son cœur s’accélérèrent à l'approche de la demeure de Sigyn. Soudain, la déesse eût un doute. Et si elle venait à croiser Loki ? Ou Fenrir ? La situation n'en serait que pire. Elle commença à tourner les talons, puis finalement se ravisa pour reprendre sa route. « Il n'y a point de bonheur sans courage, ni de vertu sans combat »* murmura Sága du bout des lèvres, en prenant une grande inspiration. La demeure de Sigyn apparut bientôt devant ses yeux aveuglés par le soleil. Elle tendit un bras au-dessus de sa tête pour l'observer quelques instants. L'architecture était tellement étrange. Asgard lui semblait bien loin. Doucement elle monta les marches qui menaient jusqu'à la porte d'entrée et tendit une main, pour frapper le panneau de bois.

*Jean-Jacques Rousseau

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La surprise qu'elle lût sur les traits de Sigyn ne l'étonna guère. De mémoire de dieu, leur dernière entrevue remontait à des milliers d'années. Depuis son installation au Sanctum, Sága n'avait eu de cesse de se plonger dans le travail, que ce soit l'étude des documents de la Grande Bibliothèque, la rédaction de ses travaux personnels ou encore l'élaboration des textes de lois instaurant la bonne entente au sein de l'île. La déesse avait également eu la chance de participer à la rédaction du traité de paix, entre les humains et les divinités. Avec ses confrères érudits, elle avait participé à plusieurs réécritures, afin de trouver un arrangement qui puisse convenir aux deux parties. Il avait fallu ensuite définir un nombre conséquent d'articles, de paragraphes, d'alinéas, le tout rédigé en plusieurs langues. Le ciment de la société actuelle, que ce soit à New Haven ou au Sanctum. Renouer avec son passé, n'avait guère fait partie de ses projets. Elle était allée de l'avant, pour la première fois depuis des millénaires et surtout, depuis la mort d'Odin. Il avait toujours été cette figure ambiguë, qui l'avait mise en porte-à-faux, vis-à-vis de certaines divinités. Le dieu furieux tenait une sombre réputation. Son amour pour lui n'avait jamais faibli, quoiqu'il fasse. Sága ne pouvait être en colère contre quelqu'un, encore moins contre son propre père. Elle avait le pardon facile, peut-être trop. Malgré sa cruauté, elle était restée à ses côtés et ce, malgré la peine que ses actes lui avait causé. Avait-elle eu peur de lui ? Non. Elle savait que jamais Odin ne lui aurait fait de mal, même si elle avait décidé de lui tourner le dos. Le privilège d'être son unique fille, certainement. Sa passivité l'avait à coup sûr éloignées de certaines personnes, pour qui son comportement avait pu apparaître comme particulièrement éloquent. En vérité, Sága n'avait pas fait le choix de tourner le dos à une partie des gens qu'elle aimait, elle avait fait le choix de tourner le dos au monde entier. Suite à la mort d'Odin, la déesse s'était retirée dans sa demeure asgardienne, pour y pleurer son chagrin jusqu'à ce que la peine s'apaise.

Après des années de deuil, Sága avait jugé que son isolement devait prendre fin et qu'une nouvelle vie pouvait s'offrir à elle. Lorsqu'on est immortel, l'on ne peut attendre que les jours passent en espérant la mort, car celle-ci ne viendra jamais nous libérer. Elle avait énormément de choses à rattraper, à découvrir, mais aussi à corriger. « Bonjour Sigyn » la salua-t-elle, avec timidité. La déesse de la poésie n'était pas la plus habile pour contrôler ses émotions. Les doigts pianotant sur la couverture de cuir. Le rouge pourprant ses pommettes. Tout ces signes trahissaient sa profonde nervosité. Sága tenait vraiment à reconquérir son amie d'autrefois. Cependant, elle doutait encore d'en avoir le droit. « Je souhaiterais te parler, si tu m'y autorises » dit-elle, dans un bref sourire. Son cœur battait lourdement dans sa poitrine. Si seulement, elle avait eu le pouvoir de lire dans les pensées des gens, nombre de choses auraient été plus faciles. « Je te remercie » souffla  Sága, soulagée d'entendre Sigyn lui proposer d'entrée. Elle s'engouffra alors dans la demeure de l'épouse de Loki. L'intérieur était beaucoup moins sinistre qu'elle ne l'aurait imaginé. La déesse de la fidélité devait y être pour beaucoup. Il y régnait une atmosphère tranquille, chaleureuse, lumineuse. Sága vit même un félin domestique se promener dans les pièces adjacentes à l'entrée. « Tiens, elles sont pour toi » confia Sága en tendant à Sigyn, le bouquet valériane et de fleurs de bougainvillier qu'elle avait cueilli. C'était modeste, mais comme avait coutume de dire les humains, c'est l’intention qui compte. « Je sais que ma visite est impromptue et si par malheur je dérange, je suis disposée à revenir un autre jour » se sentit-elle obligée de préciser. Elle ne voulait pas s'imposer auprès de Sigyn. Elle ignorait de quoi était fait son quotidien et si elle avait des obligations quelque part sur l'île. Voyant qu'elle ne dérangeait pas, la déesse prit une grande respiration et commença son monologue explicatif, sans faire davantage de mystère sur les raisons de sa visite. « J'ai conscience que beaucoup de temps a passé depuis...depuis l'Asgard. Chacune a connus chagrins et maux, toi plus que quiconque. J'avoue m'être éloignée des conflits par peur de souffrir et de voir souffrir ceux que j'aimais. Je réalise aujourd'hui, que mon isolement n'a que trop duré et que j'ai eu tort de me tenir à distance des gens auxquels je tenais et tiens toujours profondément » avoua Sága, le cœur libéré. Oui, elle tenait toujours à elle. Son souvenir ne l'avait jamais quitté. « Je ne viens pas chercher ton pardon Sigyn, je ne le mérite pas. Je souhaiterais simplement que tu me fasses à nouveau une place dans ta vie, même si nous devons recommencer comme deux étrangères » reprit la déesse, en affichant un sourire doux.

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Une poignée de fleurs ne pourraient combler des siècles d'absence. Pourtant, il aurait été inconcevable pour la délicate déesse de se présenter sans un bouquet. Elle savait combien il était plaisant de recevoir un cadeau fleuri. Un parfum qui embaume, des couleurs qui chatoient. C'était l'assurance d'un sourire naissant sur les lèvres. De ce fait, Sigyn s'empara des quelques fleurs et la remercia poliment. De sa démarche, elle l'invita à la suivre à l'intérieur de la demeure, tandis qu'elle plaçait les tiges sauvages dans un vase vide, sur la table du salon. « Très bien. J'essayerai d'être concise » promit Sága, qui savait que la tâche lui serait compliquée. Elle avait tant de choses à dire à son amie. Tant d'excuses à formuler, pour tenter de recoller les morceaux d'une complicité mise-à-l'écart trop de temps durant. La perspective d'être interrompue par Loki ne l'enchantait guère et l'effrayait particulièrement. Être la fille d'Odin ne serait pas un avantage face à lui. Sága se verrait sûrement chasser de la demeure du couple sans ménagement. La déesse possédait assez de présence d'esprit pour croire que la mort de ses deux fils de la main de son père avait pu remplir le dieu de la malice de colère. La peine que ressentait Sigyn était sans doute partagée par son époux, aussi volage et imprévisible soit-il.

Une fois installée sur la canapé aux côtés de son amie, Sága délia sa langue et déballa son cœur. Elle ne venait point chercher le pardon de la déesse de la fidélité, elle ne s'attendait guère plus à ce que celle-ci veuille comprendre son absence prolongée. Cette visite était un pas en avant. Une main tendue vers celle qu'elle avait considéré et considérait toujours comme l'une des personnes les plus chères à son cœur. La vie – bien à leur insu – avait décidé de les séparer. Créant deux camps opposés que l'une l'autre n'avaient pu se résoudre à quitter, tant le choix était évident. Sigyn était restée avec son époux. Sága auprès de son père Odin. Les années avaient passé et de la douleur était née la rancœur, produit distillé du poison de la haine. Ainsi, en réponse à sa main tendue, la déesse de la fidélité rappela les atrocités commises pour le dieu furieux. Celles-ci étaient et demeureraient à jamais impardonnables. Et les complices de ses horreurs ne méritaient guère davantage. A ces mots, Sága baissa les yeux et déglutit silencieusement. Se dresser contre Odin ? Elle en avait été incapable. Qu'est-ce que cela aurait bien pu changer ? Malgré tout l'amour que son géniteur lui avait porté, il n'aurait jamais ployé devant ses complaintes et ce, même elle avait menacé de s’ôter la vie. L'esprit furieux n'avait pas été surnommé ainsi pour son simple caractère colérique. Odin avait toujours été un dieu froid et inflexible. La cruauté dont il avait fait preuve envers les fils de Sigyn et de Loki avait épouvanté la délicate déesse, au point qu'elle lui avait interdit l'accès à sa demeure de Sökkvabekkr, pendant plusieurs lunes. Une attitude punitive qui avait eu pour seul effet, celui de renforcer la colère de son père. Aussi, Sága avait rapidement cédé et rouvert la porte de son domaine à Odin, qu'elle ne pouvait s'empêcher d'aimer plus que tout. Contrairement à Sigyn, elle lui avait pardonné. Elle avait rangé dans un coin de sa tête l'horreur, pour dissocier le geste de l'homme. Sága avait le cœur trop pur pour éprouver de la rancune envers qui que ce soit. Haïr lui demandait trop d'énergie.

« Oh chère Sigyn ! » se réjouit Sága en se jetant sur son amie pour l’enlacer. Ce qu'elle venait de lui dire lui réchauffait le cœur. Elle lui avait tant manqué. Les deux déesses partageaient trop de souvenirs heureux pour ne point se donner une seconde chance. Elles avaient fait des erreurs, certes. Elles avaient pris des chemins différents, certes. Néanmoins, leur vie d'éternel leur laissait un temps infini pour tout reconstruire. Pour recommencer, sans se tromper. Sans trébucher. « Tant de fois, j'ai souhaité venir te parler. Tant de fois, j'ai regretté ma lâcheté et ma naïveté. Je pensais que mon ascendance te repousserait, que je ne serais plus jamais digne de ton amitié, de part mon lignage avec... » lui dit la déesse, avant de s'arrêter. Sigyn savait de qui elle parlait. Ce nom était sûrement proscrit sous son toit. « Tu es l'amie la plus chère qui m'ait été donnée d'avoir, Sigyn » sourit-elle, en venant lui prendre la main. Une larme avait roulé sur sa joue. La joie des retrouvailles l'animait d'une émotion brute. Elle offrit un sourire complice à son amie, avant de baisser les yeux. Sur ses genoux reposaient les feuillets qu'elle avait apporté avec elle. Sága prit une grande inspiration. « Ceci... » commença-t-elle, avec peu d'assurance. « Ceci sont les prémices d'un chant, que j'ai écrit en l'honneur des Ases ayant rejoint le Valhalla. Tous les Ases » précisa  Sága, qui voulait bien entendu faire référence aux fils disparus de Sigyn. « Je souhaiterais le soumettre au Conseil, pour qu'il soit entonné durant les célébrations asgardiennes. Tu n'es pas obligée de le lire maintenant, je voulais simplement que tu saches qu'il existe » confia la déesse, en posant sur la table, les quelques feuillets qu'elle avait apporté avec elle. Sur l'entête du premier, l'on pouvait lire le titre : La complainte du loup.

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