l'art de la guerre • (zeus)

Il fallait une bonne raison au dieu des morts pour quitter les Enfers. Au cours des derniers millénaires, la seule raison l'ayant poussé à s'extirper de son royaume infernal fût la belle Perséphone. La première fois, ce fût pour la conquérir, le seconde fois pour fouiller la terre après sa disparition. A quelques rares exceptions près – lors de cérémonies importantes par exemple – Hadès ne s'était jamais absenté volontairement du royaume souterrain lorsque son épouse y séjournait. De quoi avait-il donc besoin sur terre, lorsque la déesse du printemps vivait à ses côtés ? Ainsi, le dieu mortuaire ne s'était jamais engagé dans quelconque combat ou guerre opposant ses pairs à d'autres panthéons ou même participé à une partie du génocide humain. Lui ne faisait que récolter les pertes abondantes des querelles incessantes. Plus sage que ses frères d'armes, plus calme que l'humanité entière, de tous Hadès avait rarement été le plus belliqueux. C'était un dieu juste et clément. Il ne châtiait jamais par plaisir, purement par devoir. La haine ou la rancœur ne faisaient guère partie de ses émotions primaires. Il ne possédait ni la fougue de ses amis, ni la fureur de ses ennemis. En outre, c'était un dieu bienveillant, loin de l'image délétère que lui avait accordé les croyances humaines.

Pourtant, ce ne fût point la mansuétude qui guida le dieu des morts hors de son royaume en ce nouveau jour, mais bel et bien l'appétence d'une vendetta dévastatrice. D'une certaine manière, la raison de son ascension dans le monde des vivants restait la même que les fois précédentes. Cela concernait Perséphone et l'ignominie dont elle avait été victime. Enlevée, séquestrée et violée par Pluton. Hadès regrettait de n'avoir pu lui ôter la vie de ses propres mains, mais heureusement pour lui, sa colère pouvait trouver une autre cible : les derniers dieux romains. Une poignée de vermine à l'existence précaire, que le dieu hellénique avait bien l'intention de retrouver et d'exterminer. Ils étaient tous complices. Hadès ne retrouverait sa sérénité légendaire que lorsque le panthéon entier serait éteint. Pour cela, il allait avoir besoin d'aide. D'un soutien politique et militaire. C'est donc tout naturellement que le maître des Enfers avait décidé de quitter son royaume, pour se rendre sur terre et visiter son frère à Sanctum. Zeus ne pouvait lui refuser cela, Perséphone était sa fille et il avait autant failli à la protéger que lui. Voilà une occasion de se racheter auprès d'elle. Unir leurs forces pour faire payer ses agresseurs et envoyer un message clair aux autres divinités : ne jamais mettre un dieu de la mort en colère.

Hadès pénétra donc au cœur du Palais Aeterna avec les idées bien arrêtées. Il traversa le Grand Hall à la décoration fastueuse et sa silhouette sombre, si peu vue en ces lieux ne manqua pas d'attirer les regards, et d'extirper quelques messes basses aux serviteurs qui s'occupaient de l'entretien. Le dieu s'informa auprès de l'un d'eux de la présence de son frère au sein du palais. Le jeune humain à l'allure trapue l'aiguilla vers l'aile privée où se trouvait la salle du Conseil. Une séance venait apparemment de se terminer, ce qui rendait sa visite d'autant plus propice. Plusieurs divinités sortir de la salle à huit-clos et Hadès reconnut finalement les traits de son frère, en pleine conversation avec une déesse aux cheveux blonds. Un soupir s'échappa d'entre les lèvres du dieu des morts. Ce dernier ne changerait donc jamais. « Mon frère ! » l'interpella-t-il, à haute voix. Le dieu des dieux sembla surpris de la voir ici, mais Hadès ne s'en formalisa guère. Il s'approcha de lui pour l'accoler chaleureusement. « Puis-je solliciter ta compagnie ? Je souhaiterais te parler » demanda le maître des morts, en fixant Zeus d'un regard insistant, pour lui faire comprendre qu'il souhaitait s'entretenir avec lui, seul à seul. L'affaire était aussi personnelle que secrète. Hadès savait qu'exposer ses projets de génocide allait à l'encontre du traité de paix établi à Sanctum. Ils pouvaient donc se passer d'oreilles indiscrètes. Lorsqu'ils furent seuls, le dieu mortuaire entra directement dans le vif du sujet. « Tu sais que Perséphone est revenue ? Tu sais ce que les romains lui ont fait ? » demanda-t-il, de façon rhétorique. Une violente nausée lui agita la poitrine. La seule pensée de son supplice lui donnait envie de répandre une traînée de cadavre dans son sillage « Ils doivent payer Zeus. Chacun d'entre eux » déclara Hadès, le visage d'acier.

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Encore une fois, on avait insisté à ce qu’il prenne part à la discussion de la journée. Le dieu de la foudre avait donc quitté l’Olympe pour rejoindre la terre mortelle. Le jeune dieu messager avait quitté le palais de Zeus et ce dernier s’était tout de suite préparé pour retourner à Sanctum. Une brève apparition dans son manoir avait suffit et il se dirigeait déjà vers le Palais. Ce fut une séance longue, peu intéressante. Une tentative de décider que faire de l’humain ayant tué l’un des conseillers. Les avis des différents panthéons. Quelques audiences. Le dieu était habitué à écouter et devoir régler des situations compliquées. Il l’avait fait si souvent par le passé. Mais les affaires de Sanctum, il n’en avait rien à faire. Il n’était là que pour Poseidon, Hecate et Psyche qui eux croyaient en cette cité qu’ils avaient construite de rien. Son avis était souvent la bienvenue, probablement pour s’assurer qu’il respecte les ‘’règles’’ de la ville. Il se prêtait au jeu malgré tout, jouant le consultant lorsqu’ils lui demandaient. Aujourd’hui, il fallait dire que les discussions l’ennuyaient. Pourquoi faire un cas aussi énorme d’un simple humain ? Il n’avait pas tué d’Olympien et c’était tout ce qui importait. Zeus fut donc très silencieux, écoutant plutôt ce qui se disait tout autour de lui. Quand la séance fut enfin terminée, il songea à visiter les bains pour se détendre et était sur le point d’adopter la forme d’aigle pour s’envoler vers sa destination lorsqu’il fut soudain interpellé par une voix familière… mais incroyablement étrangère à ces lieux. Il se retourna et vit Hadès s’avancer dans sa direction. Il salua avec affection son frère, qu’il était sincèrement heureux de voir malgré les désaccords du passé. Même s’il ne partageait pas le même sans, il était son frère et rien ne pourrait changer ce fait. Avec lui et Poseidon, il y avait cette dynamique qu’il était impossible à décrire. Si différents mais unis lorsqu’il le fallait. Devant le regard rempli de sens du brun, Zeus acquiesça et l’invita à le suivre à l’écart, dans une pièce isolée où personne ne viendrait les déranger. - Heureux de te voir. Bien sûr, nous serons tranquilles pour parler par ici.

Dès qu’ils furent tous les deux, Hadès ne s’attarda pas à faire savoir la raison de sa présence. Perséphone. Si c’est la vengeance qu’il cherchait, il venait de cogner à la bonne porte. Car le dieu des dieux avaient toujours eu un dégoût profond des romains mais depuis qu’il avait compris ce que sa fille avait vécu aux mains de l’un d’eux, cette haine était devenue une rage silencieuse mais oh combien meurtrière. Une partie de lui était surprise de voir que son frère souhaitait tout comme lui faire couler le sang, lui qui avait toujours été plutôt en retrait des conflits. D’une autre part, il savait à quel point il aimait Perséphone donc ce n’était pas totalement hors de caractère. Le dieu lui tourna brièvement le dos, cherchant à cacher l’expression de haine, de culpabilité et de tristesse qui traversa son visage, puis après un bref silence, il se retourna et fit face au maître des morts. - Oui, je sais. Les Romains avaient toujours tenté de voler leurs titres, de se prétendre les véritables dieux avant eux et Zeus les avaient toujours combattu. Il avait participé à la chute de Jupiter et de tant d’autres. Que certains soient encore en vie et aient pu faire vivre un tel calvaire à sa fille, il le prenait personnel. Mais qu’avait-il fait, Hadès ? Peut-être qu’avec son aide, ils auraient véritablement pu les anéantir bien avant la Purge. Mais non. Son frère préfèrait s’enfermer dans le Tartare et dans le noir. Maintenant que sa douce fut une victime, il se réveillait enfin ? - Ils ont toujours été une menace, Hadès. Jusqu’à mon dernier souffle je les chasserai, peu importe où ils se cachent. Je sais que tu as toujours cherché à ne pas t’impliquer dans nos conflits mais ton aide aurait été nécessaire bien avant que Perséphone ne fasse les frais de leur perfidie. Ses doigts glissant contre la barbe naissance de son menton dans un geste songeur. - Je ne dis pas que c’est de ta faute, car ce ne l’est pas. Mais j’ai toujours eu besoin de toi, mon frère. Je me désole que c’est seulement maintenant que tu songes à me tendre la main. Peut-être que ses mots étaient durs, mais Zeus n’était pas du genre à tourner autour du pot ou à cacher ce qu’il ressentait. Hadès était bien l’un des premiers à connaître ce trait du dieu céleste. - Une fois que tu te lances sur cette voie. Celle de la vengeance. Il n’y a pas de retour en arrière. Es-tu prêt ? Bien sûr qu’il l’était, sa femme avait été mutilée. Physiquement et mentalement. Il se devait de lui demander malgré tout, tel un contrat verbal à signer. Peu importe le Conseil, peu importe la politique, quand un Olympien… et surtout sa fille, était en jeu… Zeus ne craignait pas de retourner en guerre contre le monde entier.

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« Que veux-tu insinuer ? » demanda le dieu des morts, les poings soudain crispés. Au fond de ses prunelles obscures naquirent une lueur de méfiance à l'égard de son frère d'armes. Il s'approcha lentement de lui pour inspecter son regard, afin d'y décrypter ses pensées. Le grand Zeus venait-il de l'accuser du sort de Perséphone ? Le maître des morts osait à peine y croire tellement l'affront était grand. Face à l'air sérieux de son frère, le flegme légendaire d'Hadès commença à se dissoudre sous sa peau. « Les mots sont différents, certes. Mais tu l'as clairement pensé » s'offusqua-t-il, sidéré par de tels propos. Après la chute des Titans, il avait hérité du monde souterrain, royaume des morts où ceux-ci se succédaient sans interruption. C'était son devoir, sa fonction première en dieu funéraire d’accueillir les âmes dans le Tartare, de les juger et d'empêcher que celles-ci ne brisent leur captivité pour rejoindre le monde des vivants. Hadès n'était pas de ces Olympiens qui se prélassaient sur un nuage en s'abreuvant de nectar et laissaient leurs instincts primaires les dominer. Il n'avait jamais lutté pour le pouvoir, guerroyé contre des ennemis inconnus par pure vanité ou fécondé des mortelles par centaine pour assouvir ses pulsions lubriques. De tous, il avait été le plus sage, le plus raisonné et surtout le plus loyal. Loyal envers à sa femme, envers ses valeurs et la mission qui lui avait été confié. Les reproches de Zeus ne faisait qu'accroître le ressentiment grignotant ses entrailles depuis le retour de Perséphone. Un poison vicié qui s’immisçait dans chacune de ses veines. Un brasier le gardant éveillé la nuit de peur qu'un pourceau romain ne vienne à nouveau lui arracher les graines de sa vie. D'aucun droit, le dieu des dieux ne pouvait se permettre de le juger ainsi. Malgré la clarté de son teint et de ses yeux, Zeus avait plus de tâches sur son blason qu'Hadès n'en aurait jamais sur le sien. « Je ne suis pas venu te tendre la main Zeus, mais prendre la tienne » rétorqua-t-il avec une certaine émotion. Il venait implorer son aide, son soutien. Non pas au nom de l'amour fraternel qu'ils s'étaient jurés il y a des millénaires, mais au nom de l'amour qu'ils portaient tous les deux à Perséphone.

« Ce n'est point ton trône que Pluton a convoité, mais ta fille qu'il a enlevé et enchaîné » rappela Hadès, le ton dur. Les veines de ses mains s'étaient noircies à l'évocation de cette tragédie. Sans s'en rendent compte, le dieu des morts laissait la haine l'envahir et sa nature funeste reprendre le dessus. « C'est ma reine que cette vermine a violé et torturé, un siècle durant ! » mugit-il au visage de Zeus, en l'agrippant par les pans de son vêtement précieux. Ce n'était pas à lui qu'il en voulait, pas personnellement. Hadès en voulait à la terre entière et surtout à lui-même. Il avait été incapable de la retrouver, en cent ans d'errance sur terre. Le fait est qu'il aurait pu passer des siècles à la chercher, qu'il ne serait certainement pas parvenu à la trouver. Pas tout seul. Hadès était puissant, mais il ne possédait pas la capacité à voir ce qui était dissimulé par la magie. Hécate avait pu le voir, mais pas lui. Pour s'attaquer aux romains, encore fallait-il pouvoir repérer les sanctuaires où ceux-ci se cachaient. « Perséphone mérite que l'on se batte pour elle. Nous avons tous les deux failli à la protéger, Zeus » finit-il par soupirer tristement. Le dieu secoua la tête à cette pensée. Il rendit finalement la liberté à son frère, posant ses mains sur ses épaules en guise d'excuses. Au fond, Hadès savait que Zeus partageait sa rage, il n'avait simplement pas la même façon de l'exprimer. Les Olympiens avaient leur fierté et celle du dieu des dieux valait celle de l'humanité toute entière. Las, le maître des morts s'éloigna en soupirant. Perséphone n'était pas la seule raison de sa venue. Un nouvel élément s'était imposé à lui au retour de l'être aimé. La quintessence de la violence dont son épouse avait été victime. Une progéniture bâtarde au sang mêlé. « Et puis, il y a cette enfant... » reprit Hadès avec précaution. Son regard croisa celui de son frère, inquiet à l'idée de connaître son opinion sur cette fille illégitime. Lui n'avait eu d'autre choix que de l'accepter. Malgré la peine qu'il ressentait en son for intérieur, il lui avait ouvert les portes du palais des Enfers, pour satisfaire son épouse. « Ils voudront s'en emparer, c'est certain » dit-il, le cœur lourd. Zeus l'aiderait-il à la protéger elle aussi ?

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