sympathy for the devil. (lucifer)

« Mais Daisy, je ne peux pas accepter ! » Daisy hausse les épaules – c’est une journée comme les autres pour elle. Elle l’avait commencé tôt avec quelques heures de ménage dans cette demeure qui pouvait bien abriter tous les habitants de l’immeuble décrépi dans lequel elle vivait. Elle avait toujours trouvé ça scandaleux, d’avoir autant sans jamais partager, de se complaire dans une vie de luxe inutile pendant que d’autres mourraient de faim. Elle ne connaissait que trop bien cette sensation désagréable, celle de se coucher l’estomac vide après une longue journée à chercher à survivre. Les quelques mois passés dans la rue avaient été affreux et elle ne souhaitait une telle épreuve à personne. C’est en partie pour cela qu’elle n’hésita pas un instant avant d’aller vers Dotty, une sans-abri qu’elle croisait régulièrement dans son quartier. Celle-ci semblait presque invisible aux yeux des passants qui la frôlaient sans même lui accorder un regard, comportement immonde qui soulève le cœur de la jeune femme. Et en dépit des épreuves que l’aînée semble avoir traversé, elle reste toujours d’une courtoisie admirable, impressionnant la brune par cette force qu’elle affichait constamment. Elle pousse à nouveau le sandwich qu’elle vient tout juste d’acheter vers la femme aux cheveux grisonnants, insistant à nouveau pour qu’elle ne le prenne. « J'me suis trompée en l’achetant, c’est pas celui-là que je voulais alors tu me rendrais trop service ! » Regard dépité dans sa direction. Forcément, elle n’en croit pas un mot, mais elle apprécie toutefois l’effort. L’air gêné, elle accepte finalement la nourriture offerte, pour la plus grande satisfaction de Daisy. « Puis t’inquiètes pas, tu m’rembourseras en m’invitant dans le restau le plus cher de New Haven quand tu seras riche ! » Rire rauque qui quitte les lèvres de l’aînée alors qu’elle secoue la tête avec affection. Elle adorait autant que Daisy ce petit jeu auquel elles se prêtaient quand elles se croisaient – celui d’imaginer ce qu’elles feraient, le jour où elles deviendront riches, tellement riches qu’elles n’auront plus jamais à se soucier de la nourriture à trouver dans leur assiette, ni du loyer à payer dans le cas de la prophète. Quelques mots échangés et enfin, elle quitte la femme, l’estomac vide mais le cœur plein d’avoir pu améliorer le quotidien difficile d’une personne qui mériterait pourtant bien mieux de la part de la vie.

Et encore une fois, elle a cette drôle de sensation qui ne la quitte pas. Elle sait de quoi il s’agit – c’est son don qui s’affole, qui veut lui faire comprendre quelque chose. Malheureusement pour elle, ce n’était pas toujours très clair, peut-être aussi parce qu’elle apprenait encore à le manipuler, à le comprendre. Elle sait seulement que cette impression qu’elle éprouve est persistante, présente depuis quelques jours déjà. C’est quand son regard se pose sur une carrure imposante que tout semble s’éclairer. La silhouette lui semble familière pour l’avoir croisé – ou du moins, pour avoir l’impression de l’avoir déjà croisé, sans en être véritablement sûre. Elle n’aurait sans doute jamais remarqué sa présence, si son don ne s’était pas affolé. C’est lui qu’elle a croisé quelques jours plus tôt, quand tout a commencé à s’agiter. Il la suivait, probablement. Mais pourquoi ? Il n’était décemment pas un illuminati. Si ces derniers connaissaient son statut, ils n’auraient pas hésité un instant avant de l’embarquer et de la tuer ou, pire encore, la torturer. Et puis, elle avait l’impression d’être à nouveau un peu plus protégée depuis qu’elle avait rencontré Michael quelques jours plus tôt. Comme si elle retrouvait un peu de cette sérénité qui lui faisait défaut depuis que Gabriel n’était plus là – même si ça ne sera pas pareil, jamais. Alors, poussée par cette confiance retrouvée, elle décide de confronter l’homme. Peut-être le regrettera-t-elle mais la curiosité était trop forte. Sans omettre le fait que son don la préviendrait, si elle devait fuir plutôt que le chercher. Non, celui-ci n’était pas là pour la prévenir d’un quelconque danger. Elle ne craindrait rien en le trouvant, elle le savait déjà. Alors, après un dernier coup d’œil, Daisy traverse la rue pour rejoindre le trottoir sur lequel il se trouve et sans plus attendre, marche d’un pas déterminé vers lui. S’il est bien plus imposant de près, elle ne renonce pas, consciente qu’il est de toute façon trop tard – et confiance que tout se passera bien. « Excusez-moi mais on se connaît ? » Autant être directe. « Non parce qu’on dirait que vous me suivez. J’vous ai vu il y a quelques jours, et là vous êtes encore là, c’est bizarre. » Elle croise les bras sur sa poitrine pour tenter d’avoir l’air un minimum crédible alors qu’elle guette la moindre de ses réactions. « Pour info, si vous comptez essayer des trucs méchants, vaudrait mieux renoncer parce que je sais me défendre, et qu’en plus, j’ai une bombe au poivre dans mon sac. » Parce qu’évidemment, énoncer ses moyens de défense était toujours la chose à faire pour s’en sortir.  

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Protégez les prophètes. Protégez les prophètes ! Ah ! Gabriel n’aurait pas pu lui donner pire corvée s’il l’avait voulu. Lucifer a-t-il l’air du parfait babysitteur ? Non, bien sûr que non ! Sans doute serait-il même le pire de tous ! Mais Gabriel – maudit soit-il – savait forcément qu’il ne pourrait supporter de le décevoir, même alors qu’il ne serait plus là pour s’assurer qu’il respecte ses dernières volontés à la lettre. L’archange avait toujours su, au fond, que son frère déchu n’était pas le monstre pour lequel il se faisait passer. La belle affaire ! Lucifer se serait volontiers passé d’une telle mission, plus encore après ses récents heurts avec Michael. Quel emplumé opiniâtre, parfois plus orgueilleux que le Diable en personne… Qu’importe. Qu’il le veuille ou non, il n’était pas l’unique destinataire des dernières volontés de Gabriel, quand bien même c’eut sans doute été plus sage. Pour pouvoir protéger les précieux prophètes pour lesquels leur aîné s’est sacrifié, il faut commencer par leur mettre la main dessus. Et la tâche est loin d’être aisée, même pour celui qui possède le plus grand réseau d’espions de New Haven. Les prophètes sont aussi bien cachés qu’une aiguille dans une botte de foin, et à juste raison. Il ne fait pas bon clamer haut et fort que l’on a une relation privilégiée avec une divinité, particulièrement en de pareils temps. Combien en existe-t-il ? Sans doute pas plus d’une poignée. Lucifer n’a plus qu’à espérer que Michael et lui les retrouvent rapidement, faute de quoi ils risquent de finir comme Jésus. Et aux dernières nouvelles, la crucifixion n’est toujours pas à la mode.

Parfois, Lucifer ne peut s’empêcher de se demander si Gabriel les observe, d’où il est à présent. Est-il seulement quelque part ? En compagnie de leur Père, peut-être ? En supposant que ce dernier existe réellement – ce dont le Diable doute un peu plus jour après jour. Mais admettons que Gabriel puisse garder un œil sur eux. Que pense-t-il ? Sans doute est-il désespéré de les voir incapable de s’entendre, même pour respecter ses dernières volontés. Quelle idée, aussi, d’espérer que Michael et lui soient capables de s’entendre sur quoi que ce soit… Qu’importe. Pas le moins du monde rebiffé par l’idée de faire les mêmes démarches que son frère en solitaire, Lucifer s’est mis en quête de ces fameux prophètes qu’il lui faut protéger afin d’éviter qu’ils ne terminent cloués à deux planches. Lilith demeure la seule personne en qui il ait assez confiance pour lui demander de l’aide. Quand bien même la démone ne porte pas les anges dans son cœur, pour lui, elle accepte de mettre la main à la pâte. Très vite, la succube vient lui rapporter des informations de la plus haute importance. Quelques mois avant sa disparition, Gabriel semblait s’être pris d’intérêt et d’affection pour une jeune femme à peine entrée dans l’âge adulte. Lilith ne sait pas lui confirmer ou non si la demoiselle en question est l’une de ses précieux prophètes, mais pour Lucifer, c’est un point de départ. Retrouver la jeune Daisy est un jeu d’enfant pour le Diable. D’abord, il se fait discret : il prend la forme d’un corbeau pour l’observer sans qu’elle ne se doute de rien, sans qu’elle ne fasse attention à l’oiseau noir qui apparaît et disparaît. Et puis, plus tard, il la suit. Pour voir si elle remarque quelque chose, si elle est plus méfiante et débrouillarde qu’elle n’en a l’air. C’est qu’à première vue, elle n’est pas très impressionnante, cette petite.

Et pourtant, elle a du mordant. Il hausse un sourcil, pas le moins du monde décontenancé, quand elle remarque sa présence et se décide à lui demander ce qu’il lui veut. C’est tout juste s’il parvient à se retenir de sourire lorsqu’il la voit traverser la rue avec une petite moue déterminée. La pauvre enfant n’a pas la moindre idée de la personne qu’elle s’apprête à rencontrer. « Ah .Une bombe au poivre. Me voilà terrifié. » Essayer des trucs méchants ? Lucifer secoue doucement la tête en levant les yeux au ciel, puis l’air de rien, il réajuste la veste de son costume. « Un conseil, jeune fille : ne révèle pas tous tes petits secrets à une personne éventuellement mal intentionnée, cela risque de te jouer des tours. » Une chance pour elle, il ne lui veut aucun mal. Non pas qu’il ait quoi que ce soit à craindre d’une ridicule bombe au poivre, mais passons. « Seigneur… Je pensais pourtant que les brebis égarées étaient l’apanage de Michael, pas celui de Gabriel. Il semblerait que le messager se soit fait protecteur, en fin de compte. » Lucifer sourit. Il a parfaitement conscience du poids de ces mots. L’air de rien, avec nonchalance, il aborde des sujets de la plus haute importance. Des secrets qui ne doivent pas tomber dans les mauvaises oreilles. Bien sûr, il s’est assuré d’avoir le champ libre avant de prendre ainsi la parole. Après tout, il est loin d’être né de la dernière pluie. [color=#B0C4DE « Tu as raison, je t’ai bien suivie. Mais si je voulais m’en prendre à toi, ce serait fait, et je puis t’assurer que tu ne m’aurais pas vu venir… Et ce n’est pas la peine de me faire les gros yeux, je ne suis pas en train de te menacer ! »[/color] Oh, Gabriel, Gabriel… Où a-t-il bien pu trouver cet agneau-là ? « Je suis l’un des frères de Gabriel. Tu sais, celui que notre cher père a mis à la porte. » Bel euphémisme, pour parler de l’archange qui a été banni du paradis et s’est ensuite emparé de l’enfer pour devenir l’un des plus grands cauchemars de l’humanité. « J’imagine que Michael t’a conseillé de m’éviter comme la peste… Mais je crois que Gabriel, lui, t’as prodigué de bien différents conseils. N’est-ce pas, Daisy ? »

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