en amour, qui doute accuse • (elias)

en amour, qui doute accuse

w/ @Elias Watkins // – Alexandre Dumas

Un livre avait été dérobé au sein de la Grande Bibliothèque. L'éminent Thot avait rassemblé tous les archivistes du Sanctum, en salle de lecture pour un conseil exceptionnel, afin de déterminer quand l'ouvrage avait pu être dérobé. Il s'agissait d'une copie manuscrite des Métamorphoses d'Ovide, autrefois conservée à la British Library par les humains. Datant de l'époque médiévale, ce codex comprenait de nombreuses illustrations et enluminures, mais aussi des fautes de copies et variations grammaticales, qui lui procuraient une valeur littéraire et historique inestimable. Un véritable trésor volatilisé en pleine nuit, à la barbe des gardiens, tous méticuleusement interrogés. Bien que bouleversé, Sága ne pouvait concevoir que l'un de ses homologues divins soit à l'origine de cet odieux larcin. Aucun d'eux n'avaient étudié l'ouvrage lors de ces dernières semaines et l'intérêt d'un vol était futile, puisque chacun avaient accès aux richesses de la Grande Bibliothèque, sans restriction. Tel était leur privilège. « Alors qui ? » demanda Thot, le poing sur la table. Le dieu égyptien avait perdu de sa magnanimité, il était de nouveau suspicieux et impartial. « Aucune autre divinité n'a accès aux collections, hormis celles présentes autour de cette table. Si ce n'est l'un d'entre nous, alors qui ? » questionna le scribe, en levant les mains au ciel, ouvertement perplexe. A ce moment précis, Sága sentit le regard de Snotra se poser sur elle. Première fille de Freyja et amie de longue date, la déesse scandinave de la connaissance était naturellement devenue gardienne des trésors de la Grande Bibliothèque, à la création du Sanctum. Après le discours de Thot, cette dernière entraîna Sága dans une petite alcôve, à l'abri des regards et des oreilles indiscrètes, pour lui parler. « Je n'ai rien dit à Thot, par respect envers toi. Néanmoins, j'ignorais que le mensonge était l'un de tes vices Sága » annonça-t-elle, le ton accusateur. La déesse de la poésie sentit le feu lui monter aux joues. Elle ne saisit pas le sous-entendu de l'asyne. « Le serviteur ! Je t'ai vu entrer avec lui dans la Grande Bibliothèque l'autre nuit ! Tu penses vraiment que j'ignore l'existence de l'escalier souterrain dissimulé derrière la mosaïque de Babylone ? » lui dit-elle, en serrant les dents. Sága avait reculé de quelques pas, acculée par la gardienne au regard de hyène. Elle se retrouvait dos au mur, incapable de nier l'évidence de son manquement au code des archivistes. L'accès était interdit à toute personne étrangère au Palais Aeterna et n'étant pas d'origine divine. En faisant rentrer Elias en cachette, elle avait trahi son serment. Ce que la consciencieuse Sága ne faisait jamais. Elle avait fait une erreur. Ce n'était guère la première de sa longue existence. « Par pitié, ne dis rien. J'ai eu tort. J'en suis consciente » supplia la déesse, d'une voix frêle et tendre. Elle saisit la main de la gardienne, prête à l'implorer davantage. Décidément, elle exigeait beaucoup de faveurs ces derniers temps. « Je ne veux guère connaître la nature de ta relation avec ce serviteur. Tâche de te reprendre et de récupérer au plus vite le manuscrit. Si tu le fais pas, je devrais en informer le Conseil et je doute que les membres soient d'une grande clémence envers les voleurs » menaça Snotra, avant de prendre congés.

Sága était bouleversée. Le regard et les mots de la gardienne ne cessaient de la hanter, au point d'avoir quitté précipitamment la bibliothèque pour se retirer dans ses quartiers. Elle avait l'impression d'être surveillée. La moindre messe basse lui avait fait levé le nez de ses études. De même que les feuilles des parchemins semblaient brûler la surface de sa peau, quand elle les effleurait. En était-elle encore digne ? Sága n'était pas une voleuse. La seule fois où elle avait posé ses yeux sur le dit manuscrit remontait à des années, lors du catalogage de l'ouvrage. C'était elle qui avait couché sur papier la présence du livre au sein de l'allée lll, travée Δ, tablette Γ de la section poésie (la numérotation grecque avait été adoptée à la majorité). Depuis ce jour, elle n'avait jamais réexaminé l'ouvrage, ses recherches ne l'ayant pas jamais conduite à le faire. Alors pourquoi se sentait-elle si affectée ? Les accusations de Snotra envers Elias l'avait effrayé plus qu'elles ne l'avaient outré. C'était impossible. Cela ne pouvait être lui. Il n'avait pas l'âme d'un voleur. Sága lui avait montré la bibliothèque, car c'était un garçon cultivé et partageant son amour des belles lettres. Le seul vice qui l'animait était celui de la curiosité, au même titre qu'elle. Toute cette histoire n'était qu'un sombre malentendu. L'ouvrage était peut-être déclassé ou avait été emprunté par un autre érudit, qui s'était trouvé trop honteux pour l'avouer aux autres. Voilà qui était le plus probable. Sága sursauta en entendant le jeune serviteur frapper à la porte de sa villa. La déesse s'était assise à la fenêtre, pour prendre son regard dans l'horizon. Depuis un premier baiser idyllique échangé dans les jardins célestes, leurs rendez-vous étaient devenus réguliers. Souvent, ils se retrouvaient au coucher du soleil, dans un coin différent de l'île qu'ils exploraient ensemble, en parlant jusque tard dans la nuit. Ce soir-là, la déesse avait demandé à son amant de la rejoindre dans son humble demeure. Lieu intime à l'intérieur duquel peu de visiteurs étaient venus s'égarer. « Bonsoir Elias » dit-elle en ouvrant la porte, aminée d'un trouble qu'elle était incapable de dissimuler.

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w/@Edda Odinsdottir

Le printemps s'était bien installé sur Sanctum, offrant à ses habitants des températures plus clémentes. Toi qui préférait les climats plus chauds, tu te réjouissais de ce changement de saison, et ce année après année. Tu emplis tes poumons d'une bonne dose d'air frais pendant que, le coeur léger, tu poursuis ta route. Tu n'es plus bien loin de la demeure de Sága, cette divinité qui trouble tes pensées les plus calmes depuis maintenant quelques semaines. Et pourtant, c'est bien toi qui l'a cherchée. Tu as su te mettre au travers de sa route en faisant passer l'incident pour un simple hasard, puis gagner son affection avec tes belles paroles. Le contact avait été facile, presque trop facile. La déesse t'avait accueilli dans son quotidien sans démontrer un soupçon de méfiance et vous passiez dorénavant plusieurs de vos soirées ensemble à bavarder de tout et de rien, à contempler les paysages de l'île ou à simplement apprécier la présence de l'autre. Et pendant que votre lien se solidifiait, tu pouvais en profiter pour atteindre tes propres objectifs. Amour et affaires faisaient rarement une bonne paire, mais tes machinations reposaient sur leur coexistence. Et elles se déroulaient plutôt bien jusqu'à maintenant, alors tu avais de quoi être satisfait. Tu ne savais toutefois pas comment gérer les sentiments grandissants que tu avais pour la belle Sága qui, contre toute attente, s'étaient infiltrés dans ton plan. Tu peinais à voir comment ceux-ci pouvaient connaître un sort favorable en accord avec la réalisation de ton plan, et tu redoutais l'avenir qui vous était réservé.

Tu arrives devant la porte d'entrée de l'habitation qui, comme les autres résidences du quartier, avait un joli charme. Tu ne trouvais pas ta place dans l'Elysium, fréquenté par les immortels et remarquable par son caractère somptueux. Mais depuis que tu fréquentais la déesse, elle te privilégiait en t'ouvrant les portes de la ville qui étaient normalement réservées aux autres individus comme elle. Et tu t'infiltrais alors dans des endroits où tu ne devrais pas mettre les pieds. Mais quel mal y avait-il à cela ? Tu ne faisais qu'innocemment profiter de la compagnie de ton amante tout en goûtant aux richesses que les dieux avaient en leur possession. Et peut-être qu'il t'arrivait parfois d'en abuser avec un peu plus de malice... Un léger sourire amer se dessine sur ton visage, que tu fais disparaître avant de cogner à la porte. Tu arrivais  à jouer ton rôle avec brio jusqu'à maintenant, ce n'était pas le moment d'arrêter, et encore moins d'avoir quelconque regret. Tu ne dois pas oublier ton but premier, ni ton aversion pour les dieux, leur caractère fourbe, leurs propres mesquineries... Le battant s'ouvre sur le doux visage de ton amante et tu souris cette fois-ci de manière chaleureuse, tes présomptions contre les siens s'évanouissant presque à sa vue. « Sága ! » Et tu pénètres à l'intérieur aussi rapidement qu'un coup de vent, puis tu viens déposer un baiser sur sa joue avant d'enchaîner de plus belle. « J'ai entendu un drôle d'air aujourd'hui. Ça m'a fait pensé aux chants anciens que les humains dédiaient à Asgard, et... » Ton élan s'interrompt de lui-même alors que tu remarques le regard bouleversé de la douce. Quelque chose n'allait pas, c'était facile à deviner. Serait-ce de ta faute ? Tu avais commis tes torts, après tout, ou du moins un en particulier. S'en étaient-ils déjà rendu compte ? Tu avais presque espéré que ton coup passerait inaperçu. « Tout va bien ? » Tu demandes avec une certaine candeur, un sourire niais au visage, comme un enfant qui avait barbouillé les murs et qui, sur le point de se faire réprimander, feignait d'ignorer son geste.

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w/ @Elias Watkins // – Alexandre Dumas

La demeure dans laquelle vivait la déesse à Sanctum n'était malheureusement pas à son image. Imposante, spacieuse, composée de nombreuses pièces à la décoration lourdement ornementée et à l'architecture dissemblable de ce qu'était autrefois sa résidence de Sökkvabekkr, dans l'Ásgard. Le climat chaud de cette région à Midgard avait poussé les divinités à faire construire des édifices de style hellénique et romain. Habituée aux constructions en pierres sèches et en bois, Sága avait dû se faire au granite, au béton de chaux et au marbre lustré qu'elle admirait autant que celui-ci la mirait. La déesse avait parfois du mal à se sentir chez elle, ce qui expliquait le temps infini passé au sein de la Grande Bibliothèque. Au milieu des livres et des reliques, elle retrouvait quelques traces d'un passé chéri. Ici des fuþark gravées sur une pierre runique, là des bijoux de cérémonie asgardiens. Sága avait notamment conservé une bague de mariage ayant appartenu à son père, le regret Odin. Lorsque ses yeux se posaient sur cet anneau ouvragé attaché autour de son cou, c'était comme si la déesse entrait en communion avec l'esprit furieux. Dans les moments où la solitude l'oppressait, il lui suffisait de l'enfiler à son doigt pour se croire de retour à Sökkvabekkr, à l'époque bénite des discussions sans fin, autour d'un gobelet d'hydromel.

Depuis qu'Elias l'avait abordé dans les jardins célestes, la bague était restée près de sa poitrine, sans qu'elle ait ressenti le besoin de la revêtir. Il lui avait fait oublier sa solitude et le chagrin qu'elle portait continuellement dans le cœur, malgré un siècle passé depuis la tragédie ayant emporté Odin au Valhalla. Que ce soit son charme, sa conversation plaisante ou sa dévotion sans pareil, elle s'était laissée rapidement séduire par le jeune serviteur, aux yeux ébènes. Dès qu'elle le vit apparaître derrière le panneau de bois, une chaleur envahit spontanément sa poitrine. Le bonheur ordinaire de retrouver l'être adoré. Un sentiment vite contrarié par les événements de la journée, auxquels la déesse peinait encore à donner du crédit. « Oh oui » assura-t-elle, en se forçant à sourire. Sága se retourna pour refermer la porte derrière lui. Elle ne put retenir un sourire naïf et bienheureux au contact d'Elias, venant déposer ses lèvres sur sa joue. Son odeur l'appelait déjà, de même que son être tout entier puissant et rayonnant, contre lequel la déesse souhaitait délibérément se lover. « Une cérémonie en l'honneur d'Ostara a été organisée cette après-midi. Chez les Ásgardiens, elle succède à Skadi à la fin de l'hiver et annonce le printemps, le temps du renouveau » informa la déesse, jamais avare de connaissance et de partage. Sans accorder un regard à Elias, Sága traversa d'un pas lent la cour intérieure, pour rejoindre la pièce principale où était disposer des fauteuils et des canapés pour s'étendre, tout près d'une table garnit de victuailles. « As-tu faim ? Soif ? J'ai fait apporter du vin de pays, si l'hydromel t’écœure » demanda la déesse, qui feignit de ne pas entendre l'inquiétude du jeune serviteur dans sa voix. Sága était un livre ouvert, que même un illettré pourrait déchiffrer. Alors qu'elle leur servait deux coupes de boisson, elle échappa le pichet des mains et celui-ci vînt se répandre sur le sol de marbre. Troublée, la déesse poussa un juron en asgardien qu'elle refoula immédiatement en se mordant la langue. Sa nature sensible ne lui permettait pas d'être maîtresse de ses émotions. « Je suis navrée » s'excusa-t-elle platement, avant de se baisser pour ramasser le pichet. « Il y a eu un incident à la Grande Bibliothèque, je suis un peu perturbée » avoua-t-elle dans la précipitation. Et voilà, qu'elle en avait déjà trop dit. Elle aurait mieux fait de se mordre la langue à nouveau.

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w/@Edda Odinsdottir

Le jeu d'échecs consistait en un jeu de réflexion qui opposait deux parties ayant l’objectif d’éliminer l’autre en capturant sa pièce majeure, le roi. Pour en devenir maître, la clé était de prévoir les coups de son adversaire et les issues possibles, pour ainsi mieux parer sa stratégie. On gardait ainsi le contrôle sur le déroulement de la partie et on restait prêt à riposter à n'importe quelle attaque. Cela demandait un esprit vif, une bonne capacité d’adaptation et un sang-froid remarquable. On comparait souvent ce jeu aux conflits d'ordre politique, mais tu avais aussi l'impression que ta vie était constamment comme une partie d'échecs. Tu étais en guerre contre le monde, et mieux valait bien calculer les conséquences qui pouvaient survenir.

Sága te rassure qu’elle va bien, mais tu n’es pas totalement convaincu. Tu te retiens tout de même d’insister, car la vérité est que tu redoutes quelque peu la suite. Tu as beau avoir pensé aux prochaines étapes de ton plan, à entrevoir les conséquences possibles, tu n’as pas particulièrement envie de passer au travers. Pas après les doux moments que vous aviez échangés ensemble, et pas après avoir découvert en elle une personne douce, dotée d’une sagesse que tu admirais sincèrement. Tu avais prévu cette trahison froide sans jamais avoir pensé que tu pourrais en souffrir toi aussi. « Ça devait être ça, oui. C’était tout à fait charmant. » Tu emboîtes le pas à la déesse dont le regard te fuit obstinément. Elle tente de te cacher quelque chose, mais tu pourrais discerner son trouble à des kilomètres d’ici. Elle n’avait pas ton talent pour la comédie, ce que tu percevais comme une qualité chez elle. Tout était si limpide, chaque émotion et chaque ressenti se transposaient sur les traits de son visage ou encore dans le ton de sa voix. Tu aurais voulu faire preuve de la même transparence envers elle, mais c’était un luxe que tu ne pouvais t’offrir. Tu ne pouvais plus reculer maintenant, et tu devais plus que jamais t’en tenir à ton rôle de serviteur dévoué. « De l’hydromel serait parfait, merci. » Et alors qu’elle verse vos verres, un mauvais mouvement lui fait perdre le contrôle de la cruche. Le récipient bascule au sol et le liquide qu’il contenait se disperse rapidement sur la surface du plancher. Un juron s’échappe alors de ses lèvres habituellement si innocentes. Jamais tu ne l’avais vue aussi bouleversée, et, que tu le veuilles ou non, tu ressens une pointe de culpabilité. « Ne t’en fais pas, ce n’est rien. » Tu te penches avec elle pour l’aider à nettoyer le dégât. Alors c’est bien un événement à la Grande Bibliothèque qui l’a mise dans cet état, ses paroles vagues viennent te le confirmer. Ton sang se glace et tu serres les dents discrètement en entendant ses mots qui te pèsent. « Que s’est-il passé ? » Tu caches ton propre trouble en feignant l’ignorance. Tu sais néanmoins déjà ce qui s’en vient, tu ne le sais que trop bien même. Tu tends la main vers la sienne, l’emprisonnant entre tes doigts, et tes yeux cherchent à se planter dans son regard. En quelque part tu cherches à la rassurer, comme si tu n’en avais pas déjà fait assez. « Hé… Je suis sûr que tu n’as rien à te reprocher. » Et tu le croyais véritablement. C’était toi le méchant dans toute cette histoire, et sa seule faute à elle n’a été que de bêtement t’accorder sa confiance. Et c’est ainsi qu’elle a sans le savoir fait entrer le loup dans la bergerie, se retrouvant ainsi victime de sa propre bienveillance.

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w/ @Elias Watkins // – Alexandre Dumas

Mentir n'avait jamais été un des talents de Sága. Probablement, parce qu'elle n'en avait jamais ressenti le besoin ou parce qu'elle ne s'était jamais retrouvée face à aucune situation qui l'avait nécessité. De plus, elle considérait que le mensonge comme une profonde marque d'irrespect. La jolie déesse pensait naïvement que l'honnêteté était source de paix. Se jouer de ses partenaires ne pouvait qu'attirer le malheur et le chaos. La cruche renversée sur le sol, en était l'illustration parfaite. « Quelle maladroite je fais » s'excusa-t-elle, en esquissant un sourire. Celui-ci s'effaça très vite. En dévoué serviteur qu'il était, Elias s'accroupit à ses côtés, pour venir nettoyer les dégâts. Fort heureusement, le récipient n'était pas cassé, juste ébréché. A l'aide d'un linge de maison, le vin fût rapidement épongé, comme si rien ne s'était produit. « Quelque chose a disparu » avoua Sága, le regard toujours fuyant. Ce n'était pas tout à fait vrai, ni tout à fait faux. La déesse ne pouvait se résoudre à utiliser le terme de "vol" pour qualifier cet acte. Elle n'aimait pas ce mot. Davantage depuis que Snotra l'avait associé au jeune serviteur. « Un livre a été dérobé » lâcha-t-elle finalement, incapable de garder cela pour elle. Sága trouvait cette action révoltante. La connaissance n'était pas quelque chose que l'on pouvait s'approprier, garder jalousement pour soi, comme un trésor. La déesse était partisane de l'ouverture de la Grande Bibliothèque à l'ensemble des habitants du Sanctum, divinité comme humain. Ce désir d'égalité avait sans aucun doute motivé son escapade nocturne avec Elias. Elle-même se faisait un plaisir d'éduquer les jeunes enfants de l'île plusieurs fois par semaine. Dérober un ouvrage de la Grande Bibliothèque revenait à priver ses semblables d'un savoir universel et incomparable. Sága trouvait ce geste égoïste et espérait sincèrement que l'ouvrage reprendrait rapidement sa place sur les étagères.

Doucement, la main d'Elias vînt chercher la sienne. Ce contact chaud, tout contre sa peau la fit frissonner. Elle releva le menton pour lui accorder un regard, le premier vrai qu'elle lui offrait depuis qu'elle lui avait ouvert sa porte. D'emblée les yeux du brun la charmèrent, elle en oublia ses mots et la raison de son tracas. Ses joues anguleuses appelaient à la tendresse, ses bras à une chaleur réconfortante. Sága faillit s'y laisser tenter, puis très vite, le doute l'envahit de nouveau. « Elias, est-ce que tu... ? » balbutia la déesse, d'une voix frêle. Non, c'en était trop pour elle. Son cœur sombra. Elle lâcha un profond soupir de lassitude, avant de se détourner de son amant. De telles accusations proférées à la hâte ne pouvaient être authentiques. Il y avait méprise, Sága en était sûre. Un voleur œuvrait peut-être au sein du Sanctum, mais Elias n'était pas celui-ci. Il était innocent. La déesse ne pouvait pas en dire autant d'elle-même. Elle qui avait violé son serment d'archiviste en faisant pénétrer un étranger au sein de la Grande Bibliothèque. C'était elle la coupable, pas le jeune serviteur. Il n'avait fait que profiter de la faveur interdite d'une déesse naïve. Rien de plus. Éprouvée par ses propres pensées, Sága se laissa tomber sur l'un des fauteuils de la pièce. Sa tête lui tournait, sa poitrine l'oppressait. Cette histoire la mettait dans tout ses états. Heureusement, la présence d'Elias à ses côtés lui procurait un peu d'apaisement. Elle s'efforça donc d'inspirer calmement pour retrouver sa contenance. « Je ne devrais pas te parler de cela » s'excusa-t-elle, à nouveau.

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Avec tes années de méfaits à ton actif, tu as su maîtriser l'art de manipuler les gens à ta guise. C'est un de tes talents et, comme le peintre qui perfectionne ses coups de pinceau, tu l'aiguises un peu plus à chaque fois que tu l'exerces. La clé était d'appréhender les réactions de l'autre tout en jouant avec sa sensibilité pour l'amener à obtenir ce que l'on voulait. Tu as acquis un telle capacité au fil du temps, mais ça ne voulait pas dire que tu appréciais toujours de jouer ainsi avec les autres et l'idée de blesser Sága ne te plaisait pas particulièrement.

Les choses s’enfoncent davantage lorsque celle-ci te révèle ce qui s’est passé à la Grande Bibliothèque. Tu ne trouves rien à lui répondre, et tu restes muet à la regarder d’un air désolé. Elle semble si tourmentée par un incident qui fait partie de ton quotidien et tu peines à comprendre l’ampleur de son désarroi. Tu as dérobé bien des choses au courant de ta vie que tu n’y voyais plus le mal que cela pouvait causer. C’était mieux ainsi d’ailleurs, car tu n’aimais pas penser aux conséquences néfastes que tes actions pouvaient avoir sur les autres. Tu te bornais à croire que le choix de bien agir ou non t’avait été arraché il y a déjà bien longtemps, et que tes crimes étaient commis par pure nécessité.

Sága débute alors une question qu’elle n’arrive pas à terminer et tes yeux la suivent pendant qu’elle s’éloigne. Ainsi, elle doute bien de toi, et bien qu’elle n’arrive pas à formuler complètement son accusation, l’idée que tu es derrière tout ça lui a traversé l’esprit. Sága a beau être douce, c’est une déesse intelligente. Et en toute logique, tu es la seule personne non autorisée qui a pénétré l’endroit, ce qui fait de toi le suspect le plus vraisemblable. Elle ne semble pourtant pas vouloir adhérer à cette idée, et voilà qu’elle tente déjà de clore le sujet pour passer à autre chose. Va-t-elle oser croire que tu pourrais être le fautif, ou son affection pour toi prendra le dessus et l’aveuglera de toute méfiance ? Franchement, tu n’en as plus aucune idée. Tu préfères néanmoins la confronter tout de suite avant que le doute s’empare peu à peu d’elle et que la confiance que tu as réussi à obtenir ne s’effrite. « Est-ce que je quoi ? » Le ton de ta voix est alors plus ferme. Tu t’approches en quelques pas tout en restant debout devant elle, tu préfères garder tes distances. Tu es prêt à crever l’abcès même si cela risque de faire quelques dégâts au passage. Tu soutiens son regard sans broncher, mais ses yeux à elle sont si dociles. Tel un bourreau juste avant l’acte irréparable, tu es bien conscient que tu t’apprêtes à faire souffrir ta victime. Tu ne peux plus l’ignorer, ce mal que tu sèmes un peu partout autour de toi, parce qu’il se matérialise là devant toi, alors que les traits doux que tu as commencé à chérir sont déformés par le tourment. « Tu crois que j'ai quelque chose à voir avec ça ? » Et pour empirer les choses, tu retournes la situation dans l'autre sens en jouant le rôle de l'innocent blessé par de telles accusations. Elle se sentira peut-être alors coupable de t'offenser injustement, mais toi tu sauras que c'est elle qui a raison.

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w/ @Elias Watkins // – Alexandre Dumas

Le ton sévère d'Elias résonna comme un coup de tonnerre. Habituée à plus suavité et de légèreté, la déesse comprit au vibrato de sa voix, qu'elle avait commise une erreur. Alors qu'elle aurait voulu retrouver le contact rassurant de sa main dans la sienne, le serviteur resta à distance du fauteuil dans lequel, elle s'était établie. Ses yeux de biches remontèrent lentement sur sa stature immobile, aux allures militaires et inquisitrices. Lorsque Elias lui demanda de clarifier sa pensée, Sága se leva précipitamment. « Non ! » jura-t-elle, une main sur le cœur. Un long silence suivit son exclamation. Plus éloquent qu'un soupir, le visage fermé de son amant lui fit craindre le pire. L'avait-elle blessé ? Sága priait pour que son honnêteté n'inspire pas du rejet au jeune homme, qu'elle estimait au plus haut point. L'offenser n'avait jamais été dans ses intentions. « Non, je ne le crois pas » soupira-t-elle, avec sincérité. Elle secoua la tête, pour appuyer son propos. La déesse n'arrivait pas à souscrire à cette hypothèse. Elias était quelqu'un de bien, un être dévoué, rempli de bonté. Ce n'était pas un voleur. Quand bien même il avait réussi à s'emparer de son cœur, elle ne croyait pas à sa culpabilité. « Quelqu'un m'a vu te faire entrer dans la Grande Bibliothèque l'autre soir et naturellement... » commença-t-elle à expliquer, en se tordant les doigts. Naturellement, le doute s'était installé. Naturellement, les soupçons s'étaient portés vers le jeune serviteur supposé interdit d'entrée. A l'inverse de la poétesse (que l'innée candeur avait rapidement lavé de tout soupçons), nombre de divinités se méfiaient des humains. Les serviteurs ayant choisi de vivre au Sanctum parmi les dieux, devaient faire face à une indiscutable stigmatisation de leur espèce. Sága s’indignait régulièrement du traitement outrageux perpétué par plusieurs de ses congénères à l'encontre des serviteurs. Certains se plaisaient à les tourmenter, par pure fourberie ou par dégoût de leur condition. Il était aisé pour un être divin d'accuser un domestique impuissant. Toute rébellion pouvait donner lieu à un destin funeste. Tous devaient se soumettre, même si l'injustice criait au loin. « Ce sont des accusations fantaisistes, j'en ai conscience. Et si, j'ai douté ce ne fût qu'un instant, Elias » avoua la déesse, qui se refusait encore à mentir. Cette fois-ci, elle combla l'espace les séparant pour venir saisir sa main. Elle n'avait guère l'aplomb de Snotra. Sága était une âme impressionnable. L'asyne avait fait naître le doute dans son esprit influençable, mais les sentiments nourris envers son amant l'avait rapidement balayé. Au fil des semaines, il lui avait prouvé sa valeur et sa fidélité. Sa confiance en lui n'était pas ébranlée, simplement polie par des échos extérieurs prompts à l'accusation. Des échos qu'elle se refusait obstinément de prêter attention.

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Aussitôt le soupçon formulé, il est alors regretté. Sága se lève en hâte pour proclamer sa confiance envers toi, et tu vois bien que ton air plus sévère l'a chamboulée, alors que tu as toujours été tendre et chaleureux envers elle. Toute relation comporte ses embûches, et la première fois que deux amants en croisent sur leur chemin n'est jamais plaisant. Votre route à vous deux cependant est destinée à être particulièrement encombrée, voire impraticable.

Tu te renfrognes. Ainsi, il y avait eu un (ou même plusieurs ?) témoin à votre petite escapade. Si Sága pouvait facilement oublier que tu pouvais être le responsable du vol, les autres archivistes n'auraient aucune raison d'épargner leurs soupçons contre un vulgaire humain ayant franchi un accès interdit. Autant dire que ce n'était pas de bonne augure pour toi, et il te fallait redoubler de prudence. « Je vois. » La pauvre Sága s'approche de toi et prend ta main. Tu lis bien dans ses yeux le désarroi qui l'habite, désarroi que tu lui as toi-même causé avec la dureté de ta réaction. C'est pourtant nécessaire qu'elle croit que tu sois offusqué par ses accusations, toi qui ne commettrait jamais un acte aussi sournois. Enfin, c'est le cas d'Elias, ce serviteur fidèle en admiration devant ses comparses divins. C'est un personnage que tu as fabriqué de toute pièce, aidé par tes nouveaux partenaires de la guilde qui ont pu te fournir une fausse identité et t'offrir le passage vers Sanctum. Si la déesse connaissait le vrai toi, tu n'es pas certain qu'elle le regarderait avec autant d'affection. Tu lâches un soupir, découragé par la tournure des événements. Tout  ça avait quelque peu été prévu, malgré que tu aurais préféré vaquer à tes occupations funestes dans la plus grande discrétion, sans que personne ne remarque quoi que ce soit ou ne t'accuse d'aucun méfait. Le crime parfait en somme, celui qui se déroule dans l'ombre et qui repart sans un bruit. Tu t'approches doucement encore pour venir passer tes bras autour d'elle. En venant nicher ton visage dans son cou, tu te laisses enivré par son doux parfum. Tu prends un instant pour profiter de son réconfort, ayant de plus en plus la sensation que ces moments se feront rares dans un avenir proche. Tu dois te faire à l'idée que tu risques fort de la perdre. Tes bras se resserrent alors un peu plus autour d'elle. « Jamais je ne ferais une telle chose, tu devrais savoir cela. » Et après un mensonge aussi certain, tu relèves la tête vers son visage pour croiser son regard. Elle semble si tourmentée de t'avoir accusé ainsi, sans savoir que ce blâme porté sur toi était bien justifié. Quelle sera alors sa réaction quand elle apprendra la vérité? Elle se sentira probablement trahie et encore plus mal qu'à cet instant. Ce n'est pourtant pas ce que tu souhaites. « L'idée que je puisse te faire du mal m'effraie, et je voudrais que cela n'arrive à aucune occasion. » Parce qu'au fond de toi, Tomas avait des choses à dire lui aussi. Il ne pouvait pas lui promettre qu'il n'allait jamais la décevoir ou la blesser, et c'était déjà trop tard pour cela de toute façon. Mais elle devait savoir que ce n'était pas son intention, ou que du moins ce ne l'était plus.

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La tempête se dissipa dans les yeux de son vis-à-vis. Du contact retrouvé de sa main dans la sienne, Sága sentit la tension s'évanouir dans les muscles du jeune homme. Déjà, elle s'était imaginée être éconduite, voyant celui qu'elle avait convié dans sa demeure s'en retourner aussi vite que le vent. Mais c'était mettre en doute les qualités d'Elias, une fois de plus. Il en fallait davantage au serviteur pour se braquer totalement. Néanmoins, Sága savait à quoi s'en tenir à présent. L'on ne la reprendrait pas à écouter des bruits de couloir et se laisser berner par des accusations proférées sans fondement. Malgré son statut de servant, Elias avait sa fierté et la déesse l'avait ébranlé à tort. « Oui, bien sûr » lui répondit-elle, en caressant son torse de la main. Il était incapable de commettre la moindre félonie. Tout en lui n'était que grâce et sincérité. Ses étreintes, ses murmures, ses baisers ne pouvaient mentir. Sága se délecta de la proximité de son amant, sur la joue duquel, elle vînt déposer ses lèvres douces. Un soupir s'échappa des siennes à l'entente des tracas exprimés par le jeune homme. « La peine la plus immense que tu puisses me causer, je la connais déjà, Elias. Et tu ne pourras point l'empêcher » lui dit-elle, avec sagesse et mélancolie. Cette peine immense dont elle parlait, ne pouvait qu'être causée par la perte d'un être cher. La mort. Le deuil. Ce déchirement ultime de l'âme et de l'esprit. Sága en était familière. Même après un siècle de convalescence émotionnelle, les affres de la séparation soulevaient encore son cœur fragile. En de sombres nuits d'insomnie, la déesse s'en allait trouver refuge auprès de la sépulture de son père. Là, sur le tumulus recouvert de verdure et de fleurs sauvages, elle laissait reposer son corps endolori par le chagrin. Ses doigts délicats creusaient la terre au-dessous de laquelle, la dépouille du dieu furieux avait été enterrée. Ses lourdes larmes venaient fertiliser le duvet de mousse d'une emprunte saline. Pour calmer ses épanchements ventriculaires, Sága entonnait alors des chants ancestraux composés à la gloire du grand Odin. Sa voix cristalline se mêlait au vent du crépuscule, aux fracas des vagues contre les rochers et aux complaintes des animaux bercés par Nótt. « Promets-moi d'être toujours raisonnable, veux-tu ? Ainsi, mon cœur se portera pour le mieux » lui demanda-t-elle, alors qu'elle se blottissait à nouveau dans ses bras, pour le serrer contre son cœur. Malheureusement pour Sága, la peine finirait par arriver, indubitablement. Pour un immortel, s'éprendre d'un humain était la pire des entreprises amoureuses. C'était comme cueillir une rose, tout en sachant que celle-ci allait finir par se faner. On l'admirait, on l'entretenait, on s’enivrait de son parfum. Puis, les couleurs se ternissaient, les pétales se détachaient un à un et la douce odeur des premiers jours s’évanouissait. Ce n'était point l'amour de l'homme qui se mourait, mais l'homme aimé qui trépassait. Une issue fatale qu'une grande précaution pouvait prévenir ou du moins retarder. « Mon tendre ami » murmura affectueusement la déesse, à l'oreille de son amant. Sa voix était devenue plus chaude et ses prunelles plus évasées. Timidement, la délicate Sága laissa ses doigts parcourir les trais du jeune homme. Tandis qu'elle caressait chaque parcelle de sa peau brune, elle le couvait d'un regard intense et pénétrant. L'une de ses mains vînt finalement se faufiler dans le cou d'Elias, avant d'étirer légèrement le tissus de son col, pour effleurer l'orée de son torse rougit par le soleil méditerranéen. Sentait-il le même essaim de lépidoptères remuer le fond de ses entrailles ?  

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Sága n’a pas tort. Pire que les parjures que tu pouvais commettre à son encontre, tu allais un jour ou l'autre t’éteindre dans ses bras, comme un bête humain, alors qu’elle avait encore une vie éternelle qui l’attendait. Peut-être que d’une certaine façon, la meilleure chose que tu pouvais faire pour elle était de la quitter sans demander ton reste, avant que les sentiments qu’elle avait pour toi deviennent trop forts pour être facilement effacés. C’était l’option judicieuse, terminer ta mission sans perdre de temps et disparaître de sa vie. Mais alors qu’elle est collée contre toi, que tu ressens son souffle chaud sur ta peau, tu sais que tu ne peux te résoudre à cette alternative. « Raisonnable ? J'aurais pu te promettre n'importe laquelle des folies, toutes celles que tu aurais souhaitées, mais tu me demandes seulement d'être raisonnable ? Soit, je tenterai de calmer mes ardeurs. » Tu n'as jamais vraiment eu peur de la mort. Tu as même souvent joué avec le danger, comme pour la narguer avec ta vivacité. Mais une vie peut être enlevée plus rapidement qu'on ne s'y attend et la tienne est, malgré ce que tu aimes croire, fragile comme le verre. Sága est plus disciplinée que toi et elle a raison de s'inquiéter, encore plus qu'elle ne le sait. Ses doigts s'aventurent sur ta peau et tu réprimes un frisson de bien-être alors que son regard, lui, te transperce de toute part. Comme pour matérialiser sa crainte de te perdre, elle s'accroche à toi de ses mains délicates. Les tiennes sont ancrées autour d'elle et tu les resserrent pour mieux l'enlacer. Un univers complet vous sépare, entre les motivations belliqueuses qui t'animent et les deux mondes opposés qui vous ont engendrés. Vous êtes pourtant en parfaite cohésion dans ces moments d’affection, et la barrière qui vous divise tombe peu à peu. Ton regard descend vers ses lèvres rosées et s'y attarde un court moment avant que tu ne t’y invites. Un baiser doux et ardent à la fois, retenu par une certaine timidité encore présente entre vous deux mais animé par une envie indéniable. Tes doigts s’accrochent à ses vêtements, incapable de la laisser aller. Tout serait vraiment plus simple si tu arrivais à la regarder sans que ton coeur ne s’emballe, goûter ses lèvres sans te sentir défaillir et tomber toujours un peu plus sous son charme. Toi qui croyait pouvoir mener ce travail de séduction sans t’affaiblir avec ce genre de sentiment, ton attachement à elle se solidifie à la moindre étreinte. « Qu’as-tu fait de moi pour m’envoûter de cette façon ? » Tu aimerais bien savoir oui, comment elle avait réussi à te troubler de cette façon. Comment un instant où vous vous êtes égarés a pu te causer autant d’agitation, contrarié que cette relation naissante puisse s’éteindre aussi rapidement. Car pour la première fois, tu as peur de tes propres sentiments et de ce qu’ils allaient faire de toi. Tu n’as pas la force des les affronter, mais tu appréhendes l’idée de t’abandonner à eux. Et il faut dire qu’ils te mettent dans un sale pétrin, qu’importe le tendre soulagement qu’ils t’apportent.

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Vivre avec légèreté et prudence était ce qu'il pouvait faire de mieux pour l'empêcher de souffrir. La déesse au cœur fragile connaissait déjà le triste sort de ces amants éphémères dont les éternels s’éprenaient en toute conscience. Il fallait savourer chaque instant de ces furtives relations, souvent intenses et toujours tourmentées. Le temps était l'ennemi principal des unions entre humains et divins. Certains se promettaient fidélité jusqu'au dernier souffle, quand d'autres s'abstenaient de promesses pour vivre une passion débridée. Le jeune Elias ne saurait sans doute jamais estimer l'importance de l'affection que lui portait la déesse de la poésie. Il lui était fait cadeau d'une grâce sacrée dont peu d'humains pouvaient te targuer d'en avoir bénéficié au cours de leur existence. L'amour sincère d'une divinité n'était pas une chose aisée à acquérir. Toute personne le recevant se devait d'en faire bon usage. En cas de trahison ou de disparition, la colère et la tristesse d'un être divin pouvaient être redoutables.

D'une étreinte resserrée, la douce Sága se laissa chavirer dans les bras de celui qu'elle avait choisi pour amant. Les lèvres charnues d'Elias capturèrent les siennes le temps d'un baiser zélé de passion et les mots malheureux échangés précédemment, lui parurent s'envoler au loin. Le serviteur s'amusa à flatter son ego par de belles paroles, qui la firent promptement rougir. Sága n'était pas de ces divinités érotiques aux multiples facettes, capables d'envoûter tour à tour des armées entières et de mettre à genoux des états par leur simple volonté. Pour séduire, elle devait rayonner de son intelligence à défaut de savoir comment mettre en valeur les atouts physiques indéniables que lui conféraient pourtant sa nature divine. Assurément modeste, la déesse ne s'était jamais enorgueillie de son reflet. Elle aspirait à briller par son esprit vif et son verbe, plutôt que par la perfection de son anatomie. Malgré tout, Sága n'était point déesse de la vertu. Elle nourrissait des désirs et des envies. De nombreuses fois, elle s'était abandonnée aux plaisirs simples et primaires, dans les bras d'un homme ou ceux d'une femme. Rares et tendres avaient été ces épisodes charnels. Lorsque la déesse s'éprenait d'un être, c'était toujours avec sincérité. « De l'éclat du soleil, les doux raisins se gorgent » commença à murmurer Sága aux lèvres d'Elias. La poétesse planta son regard amoureux dans les prunelles ébènes de son amant. Lentement, ses mains remontèrent le long de son torse, jusqu'à sa nuque, à laquelle elle se pendit. « Du sucre naît l'alcool qui enivre les hommes » poursuivit-elle, en venant caresser ses joues râpeuses du dos de ses mains repliées. Ses phalanges pianotèrent des notes indécises sur sa peau, avant qu'elle ne se saisisse des coins de son visage, pour quémander un baiser fugace. « Bien aise est l'élu qui chaque jour s'en délecte » lui dit-elle, les lèvres claquantes. Un nouveau regard et Sága s'humecta la lippe déjà sèche. Elle sentait la chaleur de l'instant l'envahir. L'envie de se blottir contre le corps de son amant se faisait de plus en plus intense. « A ses lèvres s'écoule le vice éternel » conclut la déesse, d'un soupir fiévreux. Un quatrain pour un aveu. Voilà ce que Sága réclamait à son amant pour la nuit. S'évanouir. S'oublier. Se laisser aller. Ne plus retenir les instincts qui la contrôlait. Laisser la décence mourir dans les draps de soie. Ne plus regarder le soleil se coucher, mais voir celui-ci se lever, ensemble.

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Sága et ses yeux sombres qui t’appellent vers elle, comme pour faire une requête non formulée. Et tu réponds à la supplication silencieuse, toi-même en perte de contrôle sous la tendresse de ses doigts. Tes membres faiblissent en allant à la rencontre de ses lèvres et tu voudrais en redemander encore juste après les avoir quittés. Et son regard vient une nouvelle fois t’ensorceler. Ou serait-ce ses mots remplis d’amour, chuchotés si près de ton visage que tu peux sentir ses lèvres en mouvement effleurer ta peau ? Douce Sága, au visage innocent, qui semble maintenant animée par une passion nouvelle. Tu ne retrouves plus sa réserve habituelle dans la lueur de ses yeux ou par ses gestes plus entreprenants. Ses mains viennent d’ailleurs parcourir ton torse et laissent derrière leur passage un frisson que tu peines à dissimuler. Tu restes là, sans un mot, à soutenir son regard de plus en plus insistant. Un autre baiser rapide est échangé entre deux vers, et tu as du mal à le laisser s’éteindre. Tu te sens fébrile, comme lorsque la fièvre s’empare d’un malade. C’est peut-être bien ce qui t’habite, une maladie que tu ne sais comment guérir. « Le vice éternel ». Ou si c’est un vice, tu seras donc pécheur. Ce ne serait pas ton premier crime de toute façon. Ta main quitte son échine pour venir agripper sa mâchoire alors que tu viens sceller un autre baiser, plus long celui-là. Un baiser délicieux, langoureux, digne de deux amants qui tentent maladroitement d’apprivoiser le feu ardent qu’ils ont fait naître. Un baiser qui peut bien te mener au bord de la catastrophe, car c’est un jeu dangereux dans lequel tu te laisses emporter bien malgré toi et dans lequel tu t'enfonces. Plus moyen de faire marche arrière. Tu laisses tes lèvres s’aventurer sur sa joue pour ensuite poursuivre leur route vers son cou. Qu’importe le risque, tu as envie de t’approprier chaque parcelle de sa peau, une à une. De plonger tête baissée dans cet amour qui s'annonce tumultueux, mais oh combien bienfaiteur. Parce que tu ne t'es jamais laissé emporter par ton propre coeur et que celui-ci est resté trop longtemps enfermé dans sa cage, il a maintenant besoin d’air. Tu n'aurais cependant jamais cru que c'est une déesse d'Asgard qui aurait réussi à le conquérir et ainsi faire baisser ta garde. Tu remontes la tête pour poser ton front sur le sien, ton regard allant s'ancrer au plus profond de ses yeux. « Je veux tout de toi. » Tout, chaque détail, chaque cicatrice, chaque courbe, tout ce qui n’a pas été exploré encore. Tu te surprends à te questionner sur les anciens amants de ta bien-aimée. Qui avant toi avait partagé sa couche ? Des êtres de sa trempe, tu supposes, et non de simples mortels tels que toi. Rares étaient les relations entre dieux et humains qui connaissaient un sort favorable. L’immortalité les séparait certes, mais les moeurs et les divergences d’intérêt les tenaient aussi à l’écart. Tu es incertain de ce à quoi ton avenir avec Sága pouvait ressembler, tu ne sais même pas s’il est envisageable de penser qu’il puisse exister. Tu ne peux toutefois t’empêcher d’en imaginer un aux scénarios réjouissants, ne serait-ce que pour le jour suivant ou encore pour un autre coucher de soleil. Pour la suite, le destin décidera.

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Ses bras vinrent tendrement enlacer la taille de son amant, tels les livres que la déesse collait contre sa poitrine après les avoir terminé. Elle s'accrochait à son vêtement de la même façon qu'elle s'accrochait aux couvertures de cuir des livres enluminés. Lorsqu'un ouvrage faisait vaciller son cœur de poétesse, il lui était difficile de s'en séparer. Sága le chérissait comme un être aimé. Elle en feuilletait les pages, encore et encore. Elle laissait ses doigts effleurer la reliure à la loisir, comme si chaque nouveau passage pouvait lui permettre de découvrir une facette originale de l'objet. Dans les bras d'Elias, Sága se laissait doucement aspirer par le récit d'un amour naissant. Sous un kiosque de fleurs, elle avait entamé la lecture d'une douce courtoisie, dont elle abordait à présent un nouveau chapitre, celui de la passion. La déesse échappa un soupir de plénitude, au contact des lèvres du jeune homme dans son cou. Voilà des siècles qu'elle n'avait plus succombé à de telles douceurs. Les baisers d'Elias réveillaient en elle des désirs enfouis par trop de peines endurées. A ses côtés, Sága se sentait profondément apaisée. Le poids de la culpabilité avait laissé place à la chamade de l'ivresse. « Mon cœur et mon âme t'appartiennent déjà... » lui dit-elle, le souffle chaud. Son corps, elle lui donnerait bientôt. Timidement, la déesse glissa sa main dans la sienne et l'attira vers lui. « Viens » murmura Sága, en l'invitant à la suivre. A petits pas, elle le traîna à sa suite, pour l'amener jusqu'à sa chambre. Aucun être n'y avait pénétré depuis son installation à Sanctum. Elias était le premier qu'elle conviait dans son intimité. Comme le reste de sa demeure, la décoration y était riche et délicate. Au milieu de la pièce trônait un large lit surélevé, recouvert d’étoffes précieuses et de traversins moelleux. A sa gauche, une modeste commode servant de coiffeuse était installée. De l'autre côté, près de la fenêtre étaient disposés plusieurs sièges et tables habilement noyées sous des dizaines de parchemins et manuscrits. Partout, ici et là, parfois à même le sol s'entassaient des livres de toutes formes et de toutes époques. Des trésors que la déesse de la poésie étudiait et relisait sans cesse. Après avoir laissé Elias découvrir l'identité de la pièce, Sága ferma doucement la porte derrière eux. Puis son regard vînt se planter dans celui de son amant pour lequel elle brûlait d'une immense passion. Les secondes passèrent sans que rien ne se passe, puis finalement le jeune homme fit un pas en sa direction. La déesse au corps tremblant combla dès lors l'espace les séparant pour capturer ses lèvres tentatrices. Tous les mots devinrent superflus. Elias et Sága se suffirent de leur corps pour s'exprimer. Avec timidité et douceur, ils se découvrirent l'un l'autre au fil des heures, d'une nuit chaude et longue. Au petit matin arriva la fraîcheur chatouillant leur peau nue. Avant même d'ouvrir les paupières, la déesse de la poésie sentit les doigts de son amant glisser dans ses longs cheveux blonds qu'elle avait détaché durant la nuit. Le premier baiser de ce nouveau jour fût aussi léger que la caresse d'un pétale. Une promesse d'amour qui bientôt flétrirait.

FIN

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