l'heure de vérité (sága)

l'heure de vérité

w/@Elias Watkins // la vérité qui est bonne à entendre n'est jamais bonne à dire pour cette raison qu'on n'est jamais sûr de la connaître (sacha guitry)

La déesse de la poésie s'arrêta subitement dans sa lecture à voix haute et referma le livre qu'elle tenait entre les mains. Son geste insuffla à son assemblée juvénile, un profond sentiment de tristesse qui fût exprimé par un soupir collectif emprunt de déception. Cela en était presque attendrissant. Il faut dire que Sága possédait un véritable don pour narrer des histoires, même celles qu'elles n'avaient pas écrites. Lorsqu'elle se mettait à raconter, le silence se faisait et de ses lèvres en s'échappant les mots devaient images. Alors quand le récit s'achevait, la magie s'enfuyait, au grand damne de son auditoire. « Les enfants tout comme les dieux doivent se reposer » commenta la douce déesse dans un sourire. Des protestations s'en suivirent et tandis que les plus jeunes assis en tailleur devant elle réclamaient la suite de l'histoire, les plus âgés lui demandaient le jour de sa prochaine visite. Sans céder à la pression, Sága se leva de son siège et récupéra ses affaires, avant couvrir de sa tête et ses épaules d'un voile léger, pour sortir dans la nuit. Elle reviendrait dans quelques jours – trois pour être exacte – promit-elle aux enfants avant de les quitter en leur souhaitant bonne nuit, dans leurs différentes langues maternelles. En effet, plusieurs groupes ethniques se côtoyaient à Sanctum et de ce fait, les serviteurs et leurs enfants parlaient diverses langues.

Lorsqu'elle sortit dehors, la chaleur et l'agitation enveloppaient encore les bas-fonds de l'île malgré l'heure tardive. Après une dure journée de labeur, certaines âmes humaines étaient encore animées d'une vigueur enthousiasmante. Tout comme les dieux, beaucoup s'enivraient pour précipiter la lassitude et le sommeil, quand d'autres dansaient pieds nus sur des rythmes frénétiques. Suivant l'artère principale pour rejoindre le quartier Elysium, Sága se fraya un chemin parmi les riverains, tout en fredonnant quelques notes de sa voix cristalline. Un joueur de flûte attira subitement son attention, avant qu'un visage familier n'apparaisse à quelques pas d'elle. La déesse reconnut immédiatement les traits de son amant Elias, qu'elle entreprit de suivre pour aller à sa rencontre. Néanmoins, le jeune homme semblait ne pas l'avoir vu, puisqu'il s'engouffra dans d'étroites ruelles, loin des regards éveillés. Sága le suivit à distance, le sourire aux lèvres et le cœur battant d'excitation à l'idée de le surprendre. Sa fantaisie romantique lui figurait déjà un baiser au clair de lune. La déesse éprouvait pour l'humain une tendresse sans pareil. Il avait su ensoleiller son cœur grisé par le chagrin de la perte paternelle. Elle aimait son esprit et sa conversation. Fascinée par sa dévotion, elle s'enjouait de sa curiosité et de sa passion à tout apprendre. Son physique quant à lui la ravissait en tout point. Elle lui trouvait les plus beaux attraits qui soient. Pressée de le retrouver, Sága s'apprêtait à se découvrir, mais le jeune homme tourna à un angle pour aller à la rencontre d'un homme à l'allure peu recommandable. Intriguée, la déesse resta en retrait et fût stupéfaite de voir son amant sortir un objet de sa besace et le donner à l'homme, en échange d'un sac de toile au contenu équivoque. La déesse n'en crut pas ses yeux. Elle resta interdite face à la scène qui venait de se dérouler devant elle, puis finalement Sága découvrit son visage.

« J'étais venue apporter des livres aux enfants des serviteurs, auxquels j'enseigne... » répondit-elle avec honnêteté. Elle n'avait pourtant aucun besoin de se justifier auprès d'Elias. De part son statut de déesse, elle était libre d'aller où bon lui semblait, que ce soit dans le quartier des dieux ou celui des humains. De ce fait, la généreuse Sága ne pouvait se résoudre à laisser une partie des enfants de l'île sans éducation, sous prétexte qu'ils n'étaient pas de nature divine. Ainsi, aussi vrai qu'il lui arrivait de dispenser quotidiennement des cours aux serviteurs qui le souhaitaient, elle tenait à faire de même avec leurs enfants. Plusieurs générations se succédaient à Sanctum. Chacun devait avoir droit et accès à l'instruction et à l'alphabétisation. C'était d'ailleurs une cause qu'elle avait plaidé avec conviction auprès du Conseil et des érudits de la Grande Bibliothèque. Nombre d'archivistes s'étaient montrés réticents à accorder un tel privilège aux serviteurs, préférant les laisser dans l'ignorance pour mieux s'assurer de leur docilité. Une injustice pour Sága et sa soif de partage. Elle qui rêvait d'égalité et d'harmonie, il lui était souvent difficile de faire adopter ses idées progressistes, par ses congénères divinement égoïstes. « Je...je te croyais occupé, ce soir » commenta-t-elle, la voix tremblante d'émotions. Le jeune homme lui avait affirmé plus tôt dans la journée, qu'il ne pourrait se joindre à elle après ses tâches. La déesse constatait avec déchirement qu'il lui avait menti. « Qui était cet homme, Elias ? Et que lui as-tu donné ? » demanda Sága, la menton haut, mais les yeux déjà brillants. Ce n'était pas n'importe quel objet qu'elle l'avait vu donner à l'homme, c'était un collier appartenant à son amie Sigyn, la déesse asgardienne de la fidélité et épouse de Loki. Un antique collier d'argent serti d'ambre et de cristal de spath, aussi rare que précieux.

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Un étrange sentiment commençait peu à peu à lui compresser la poitrine. La déesse n'aimait pas ce qu'elle voyait dans les yeux de son amant, croisé par hasard, au détour de ruelles sombres. Sága n'aimait pas ce qu'il y voyait, parce qu'elle ne comprenait pas la dureté qui s'en dégageait. Ce n'était pourtant pas la première fois que le regard du jeune homme s'assombrissait de la sorte. Elle avait déjà entrevu ce visage fermé et cet air réprobateur quelques semaines plus tôt. Sága avait préféré oublier cela. Ce n'était qu'une humeur passagère. Un nuage noir passé sur la face de son amant, le temps d'une averse sentimentale. Ce jour-là, la douce et tendre déesse avait dissipé l'orage avant même qu'il ne se déchaîne sur elle. Sur eux. Il était pourtant bien annonciateur de la tempête en approche. Le ton rèche d'Elias lui donnait l'impression d'une première bourrasque balayant sa personne. Pourquoi réagissait-il ainsi ? Pourquoi se montrait-il si abrupte dans son attitude ? Sága avait beau être naïve, sa sagesse millénaire lui conférait assez d'esprit pour comprendre que la rencontre d'Elias avec cet homme n'avait rien d'officielle, ni d'honnête. « Qu'est-ce que cela signifie ? Qu'as-tu fait ? » demanda-t-elle, en reculant de deux pas, pour s'éloigner du jeune homme qui s'était rapprochée d'elle.

Elle avait peur. Peur de découvrir la vérité derrière les allusions de celui qui partageait sa couche depuis maintenant un certain temps. Trop de temps pour lui laisser le loisir d'endormir sa méfiance - si tant est qu'elle en ait jamais eu à son égard. Un battement de cils, de belles paroles susurrées sous l'ombre d'un rosier en fleur. Des moments de gaieté et d'intimité partagés. Un plaisir qu'elle croyait vérité. Sága aimait Elias pour ce qu'il était, sans gloire, sans apparat, sans immortalité. Que pouvait-il lui cacher qu'elle aurait si peur de découvrir, à présent ? N'avait-elle pas prouvé sa dévotion envers lui, comme il l'avait fait en retour ? Quelle honte portait-il en lui, pour ne plus oser croiser son regard ? « Elias, regarde-moi. Où as-tu trouvé ce collier ? » demanda Sága, sans se laisser démonter. Cette fois-ci, la demande était claire. La déesse avait reconnu l'objet échangé par Elias contre une somme d'argent. Elle savait sa provenance et commençait malgré elle à imaginer la façon dont il avait pu se le procurer. Le jeune homme ne pouvait pas lui mentir. De sa réponse dépendrait beaucoup de choses. Une confiance trop facilement accordée, une jugement de valeur faussé et un amour...bafoué ?

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« Pourquoi ? » soupira-t-elle incrédule, lorsque Elias lui avoua enfin le vol. La déesse ne parvenait pas à imaginer les raisons l'ayant poussé à faire cela. C'était un acte odieux qu'elle assimilait aux pires brigands de la terre, aux êtres malveillants. Voler pour survivre pouvait être pardonnable, mais voler pour s'enrichir était la pire des infamies. Elle était d'autant plus abasourdie qu'elle connaissait la provenance du collier échangé avec l’homme de la ruelle. Il appartenait à son amie Sigyn, déesse de la fidélité et épouse de Loki. Sa sœur de cœur à qui elle avait présenté Elias quelques temps plus tôt, en sa demeure. Il ne faisait aucun doute que le jeune servant avait volé le bijou là-bas, probablement le jour même de leur visite. Sága était scandalisée. « Je te croyais honnête, Elias...et dévoué » avoua la déesse, la gorge sèche. Elle tombait de haut, la chute était terrible. Toutes ses belles certitudes à l’égard de son amant semblaient s'évanouir les unes après les autres au fil des mots échangés. La confiance aveugle qu’elle avait en lui s'enfuyait aussi, portée par les affres de sa tempête émotive. Outre la surprise, Sága se sentait ridicule. Fort était de constater que sa bienveillance naturelle lui avait encore jouer des tours. Encline à croire tous les mensonges du monde, à voir le bon en chacun à défaut du mauvais. Elle s’était laissée berner par les échos romantiques du jeune homme, sans chercher à le connaître davantage ou à s’inquiéter de ses intentions. Elias s’était toujours montré discret sur son passé et c’était par peur de faire remonter des souvenirs désagréables, que Sága n’avait pas souhaité s’immiscer dans son intimité. Pourtant, lui l’avait fait. La déesse lui avait tout avoué, tout confessé sur les retors et les remouds de son âme. Une erreur imparable.

« Si tu avais besoin de quelque chose, j'aurais pu te le procurer ! » s'exclama Sága, avant de retenir son souffle. Elle posa soudain la main contre sa poitrine, foudroyée par la vérité cachée derrière ses propres mots. Comment n'avait-elle pas compris cela plus tôt ? La déesse remontait le fil du dialogue, celui-ci prenait alors un nouveau sens vicié. Si Elias avait besoin de quelque chose, elle aurait pu le lui procurer... Et elle l'avait fait, bien malgré elle. Ses jambes manquèrent de flancher. La déesse alla s’appuyer contre les murs d’une bâtisse pour prévenir sa chute. Elle trouva appui au rebord d’une fontaine, sur laquelle elle s’assit. « C'est toi qui a volé le manuscrit cette nuit-là, n'est-ce pas ? » demanda-t-elle à Elias, en relevant ses yeux baignés de larmes dans les siens. Un regard lui suffit à confirmer son angoisse. La déesse se fendit d’un sanglot qui déchira la quiétude de la nuit. Comment avait-elle pu être aussi naïve ? Mises en garde et accusations n’avaient pas suffit à lui faire ouvrir les yeux. Elle avait voulu croire à son innocence. Passer outre les a priori de ses congénères et ignorer les suspicions. Quel tort. « La Grande Bibliothèque, la maison de Sigyn... Je t'ai ouvert les portes de lieux intimes et sacrés... » se lamenta Sága, qui secouait machinalement la tête comme pour nier l’évidence des faits. Ce n’était pas possible. Et dire qu’elle l’avait défendu. Et dire qu’il l’avait accusé d’avoir douté. A présent, chaque instant passé en sa compagnie prenait une autre saveur. Chaque mot prononcé avait un double sens. Ses sourires, ses caresses… Elles brûlaient son corps de l’intérieur et de l’extérieur. « Je t'ai offert ma confiance, mon amour et toi, tu... Comment as-tu pu ? » soupira-t-elle, l’âme lourde. Des perles salées ruisselaient sur ses joues rosées. Prise de honte, Sága cacha son chagrin derrière la barrière de ses mains pour ne pas offrir à Elias le spectacle de sa trahison. Le cœur fragile de la déesse était pulvérisé.

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Le jeune homme ne répondit pas lorsque Sága osa lui demander s'il était l'auteur du vol du manuscrit. "Qui ne dit mot, consent". Son regard fuyant fût bien plus éloquent qu'un aveu. Une fois de plus, la tendre déesse en eût le cœur serré. Elle ne savait pas ce qui lui procurait le plus de peine. Découvrir un autre homme ou découvrir celui qu'elle avait refusé de voir jusqu'ici ? Sága avait choisi d'ignorer les mises-en-garde de son entourage. Elle avait tu les voix raisonnables ayant tenté de la retenir dans son sentimentalisme. S'attacher à quelqu'un c'était prendre le risque de souffrir, d'être déçue. Sága expérimentait tout cela en moins de temps qu'il lui en avait fallu pour tomber amoureuse d'Elias. Et de son amour si pur, elle recevait une piètre récompense. « Quelles obligations ? » demanda-t-elle, véritablement soucieuse. Pendant un instant, le regard de la déesse se radoucit. Pourquoi semblait-il persister à vivre dans le mystère, alors que celui-ci causait justement sa chute ? Pourquoi disait-il ne pas avoir eu le choix ? Envers qui avait-il des obligations ? Sága voulait comprendre. Vraiment. Elle ne voulait plus de mensonge. Les mots qui suivirent ne réchauffèrent pas son cœur engourdi. Elle n'y perçut que de l'amertume. Point de regrets sincères ou de consolations pour son amour blessé. La déesse se rendait soudain compte du faussée la séparant du jeune mortel. Une brèche qu'elle avait voulu à tout prix combler de sa bonne volonté au cours des derniers mois. Elle avait tenté de construire un pont entre eux deux, afin de le faire traverser. Ce soir-là, Elias semblait faire demi-tour de son plein gré. Alors, calmant ses larmes et son émoi, la conteuse de légendes se redressa pour faire face à l'homme qui refusait à présent de la regarder en face. « Je sais qu'il est bien prétentieux de ma part en tant que déesse, de prétendre comprendre les maux des mortels. Toute ma vie n'a été que privilège et crois-le ou non, j'essaie chaque jour de remédier aux erreurs des miens. De faire amende honorable » dit-elle, en pleine lutte pour garder une voix calme. Elle avait essayé, à de nombreuses reprises. C'était elle qui avait rédigé le Traité de Paix, pour mettre fin aux affrontements entre les panthéons et ainsi permettre à l'humanité de reprendre vie. Avec d'autres divinités, elle en avait été l'instigatrice. Sága n'avait jamais pris les armes, ni combattue pour le pouvoir. Pour les humains, son pacifisme la rendait peut-être coupable autant que ses semblables, pourtant l'on ne pouvait lui reprocher de tout tenter pour reconstruire ce que les siens avaient détruits dans leur sillage.

« Qu'ignores-je d'autre encore ? » demanda-t-elle, en essayant de stopper le flot de larmes s'écoulant aux coins de ses yeux. Celles-ci ruisselaient le long de ses joues à chaque fois que son regard se posait sur Elias. Chaque parcelle de son corps lui rappelait les moments bénis passés à ses côtés. Maintenant les souvenirs qu'elle gardait de lui se transformaient, au fur et à mesure des révélations. Sága questionnait chaque instant auprès de lui. Ses sourires, ses compliments, ses gestes tendres, elle s'était laissée séduire par tout cela. Elle avait cru pouvoir retrouver la sérénité dans ses bras. La quête du bonheur était visiblement une chose futile pour les êtres divins. A présent qu'elle connaissait la vérité, le doute devenait son moteur, saccageant tout ce qu'elle avait pris pour argent comptant. « M'aimes-tu seulement Elias ? » finit-elle par questionner, la voix lasse. Ou était-ce un autre mensonge ? L'avait-il uniquement approché et séduite pour s'emparer de biens précieux ? Sága avait terriblement peur de sa réponse, mais elle devait en avoir le cœur net et elle espérait qu'il soit sincère dans ses paroles.

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